L’image était étonnante. Quand Jack Layton est décédé au mois d’août, ce ne sont pas tant des oeillets que des centaines de bouteilles d’Orange Crush que les Canadiens ont déposé devant le Parlement. Une façon originale de saluer la mémoire de l’architecte de la «vague orange», il faut croire.
Orange Crush? Pour le jeu de mot, bien sûr, l’expression référant tout autant à une «orange pressée» qu’au concept de «béguin» ou de «flirt» (crush). Bien pensé. Car d’un flirt foudroyant, c’est exactement ce dont a profité le NPD en 2011 pour passer du statut de quatrième parti à celui d’opposition officielle.
Haut la main
S’il faut donc associer 2011 à une couleur, la teinte orange néodémocrate l’emporte. Un coup d’oeil dans le moteur de recherche Eureka — qui recense les articles de milliers de publications journalistiques — donne la mesure de la nouvelle popularité de cette couleur: en 2010, il s’était écrit au Canada 29 articles proposant les mots «orange» et «Layton» dans le texte. Cette année, on trouve près de 2500 références avec les mêmes termes…
Pour mieux mesurer l’ampleur du phénomène de la «vague orange», il faut se reporter au début de la campagne électorale. Tous les journalistes et commentateurs politiques — y compris au Devoir — prédisent alors que la carte politique fédérale changera peu au Québec. Le Bloc québécois caracole en tête des sondages depuis plusieurs mois, avec près de 40 % des appuis. Même s’il est en progression constante depuis une dizaine d’années (au point d’inquiéter un peu les stratèges bloquistes), le NPD reste néanmoins loin derrière.
Au 2 avril, soit un mois avant le scrutin, la moyenne des sondages nationaux préparée par le site Three Hundred Eight créditait ainsi le NPD de 14,6 % des appuis dans la province. Un seul candidat — Thomas Mulcair — était donné gagnant. Cette même semaine, lors d’un point de presse à Montréal, un journaliste de TVA pressait M. Mulcair d’avouer que «ça va mal pour le NPD, qui perd cinq points par jour depuis le début de la campagne»…
Au lendemain des deux débats des chefs, tenus les 12 et 13 avril, les commentaires avaient à peine changé d’angle: Jack Layton avait offert de bonnes performances, mais rien pour freiner la course à deux entre Stephen Harper et Michael Ignatieff ou pour faire des gains substantiels au Québec, disait-on. Erreur.
Envol
Les sondages effectués par Léger Marketing au cours de la campagne électorale montrent que le NPD a pris son envol à partir de la mi-avril. Le 17, Jack Layton pointait à 24 %, contre 34 % pour le Bloc. À travers le pays, le NPD talonnait désormais les libéraux. Deux semaines plus tard, le portrait était complètement chamboulé: le NPD devançait les libéraux de 10 points au Canada, et le Bloc de 13 points au Québec. Du jamais vu.
Entre la publication d’un premier sondage situant le NPD devant le Bloc, le 21 avril, et le scrutin du 2 mai, la poussée du NPD a atteint des proportions que même les stratèges du parti n’avaient pas envisagées. Vague orange, raz-de-marée, tsunami, toutes les épithètes ont été utilisés pour décrire le résultat final: 103 députés, dont 59 au Québec.
Dans la province, le NPD n’a laissé que des miettes à ses adversaires. Rien n’y personne n’y a résisté. Des parlementaires possédant 18 ans d’expérience ont été battus par des candidats anonymes, dont certains n’avaient pas fait campagne. Les impacts ont aussi été indirects: dans la région de Toronto, la progression du vote de plusieurs néodémocrates a permis aux conservateurs de se faufiler, de ravir des circonscriptions aux libéraux et d’asseoir leur majorité.
Comment l’expliquer? La réponse est multiple. On a cité le passage de Jack Layton à Tout le monde en parle (mais il y était déjà allé à plusieurs reprises), le symbole de courage renvoyé par une campagne faite la canne à la main, son charisme, son message positif, la volonté de changement et de nouveauté des Québécois.
«Les éléments de sympathie envers M. Layton ou le programme du NPD ont joué, mais ce ne sont pas les seuls facteurs», estime toutefois le politologue Jean-Herman Guay. Il y a plutôt vu «un vote négatif à l’égard du Bloc québécois, victime d’un sentiment de lassitude et de fatigue qui affecte tout le mouvement souverainiste», dit-il.
La grande question pour 2012? Voir si la vague orange va se retirer un peu, beaucoup ou pas du tout. Les derniers sondages de l’année ont montré un effritement des appuis du NPD au Québec (dix points en deux mois), et le parti souffre d’un manque de leadership depuis le décès de M. Layton. Il y a là un signal d’alarme, relevait récemment le vice-président de Léger Marketing, Christian Bourque. D’où l’importance pour le parti de faire le bon choix de chef le 24 mars...
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Couleur de l’année: les finalistes
Blanc: Celui de la robe de mariée de la roturière Kate Middleton, nouvelle Duchesse de Cambridge. Son mariage avec le prince William of Wales a provoqué une frénésie que la famille royale n’avait plus connue depuis l’union de Charles et Diana.
Arc-en-ciel: Le «controversé» logo de la Coalition avenir Québec. François Legault y voit un «rassemblement de gens de plusieurs couleurs qui se réunissent, un logo original, différent, non traditionnel, agressif et dynamique». Disons.
Or: La médaille remportée par Alex Harvey et Devon Kershaw aux Championnats du monde de ski de fond (sprint par équipes). Une première historique pour le Canada.
Orange rayé blanc: Les milliers de cônes dans les rues de Montréal, symbole de travaux routiers, de trafic, de fermetures de ponts, d’infrastructures vieillissantes...
Rouge: Les finances en Grèce et en Italie.
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