Course à la direction du NPD - La particularité québécoise

Le sondage Léger Marketing-Le Devoir publié lundi était limpide: si Thomas Mulcair veut remporter la course au leadership du Nouveau Parti démocratique, il devra à la fois se faire connaître au Canada anglais et recruter des milliers de membres au Québec. Mais il n'aura pas de coup de pouce particulier pour ce faire.
Point besoin de calculatrice pour comprendre le défi. Avec moins de 3000 membres recensés au Québec sur les 88 000 que compte le Nouveau Parti démocratique à travers le pays, aucun candidat à la direction du NPD ne pourra s'appuyer uniquement sur son fan-club québécois pour espérer succéder à Jack Layton. Il faudra beaucoup plus.À l'inverse, un candidat qui séduirait complètement la Colombie-Britannique pourrait remporter plus du tiers des votes, puisque cette province compte 30 000 membres. Même chose en Ontario, où 22 000 membres sont recensés. C'est ce déséquilibre qu'a voulu dénoncer Thomas Mulcair lundi, quand il a suggéré que les instances du NPD devraient contribuer plus activement au recrutement de nouveaux membres au Québec.
«On est désavantagés, a lancé M. Mulcair. Le parti [devrait], d'une manière non partisane, participer pour compenser ce manque à gagner pour le Québec.» Le leader parlementaire du parti montrait alors du doigt le fait que le Québec est la seule province qui ne possède pas une aile du NPD sur la scène politique provinciale.
Dans les neuf autres provinces, tous les membres du NPD provincial deviennent automatiquement membres du NPD national lorsqu'ils achètent leur carte. Le national profite ainsi de l'effet des campagnes électorales ou des courses au leadership provinciales pour faire le plein de membres — ce fut le cas au printemps 2011 en Colombie-Britannique (leadership) et c'est actuellement le cas dans les cinq provinces en élection.
Au Québec, il y a deux moyens de s'inscrire: par le site Internet du parti ou par les associations de circonscriptions. Le NPD possède une association dans chaque circonscription de la province (75), mais la plupart étaient inactives jusqu'à tout récemment.
La sortie de M. Mulcair ne changera rien à cette situation. D'une part, les remarques de M. Mulcair ont été accueillies froidement par plusieurs. «Il veut que ce soit le parti fédéral qui aille chercher les membres pour lui? s'est étonné le député Yvon Godin [qui a annoncé hier son appui à Brian Topp]. Je n'ai jamais vu ça.»
D'autre part, même si la question du membership québécois a été discutée lors du conseil fédéral du 9 septembre, le parti a choisi de ne pas mener d'action qui donnerait l'impression de favoriser un candidat. «Nous voulons une course consensuelle et ce n'est pas en aidant les campagnes de recrutement dans une province précise qu'on y arrivera», explique le président du NPD-Québec, Raoul Gébert.
Composer avec la réalité
Pour faciliter les choses, le parti a tout de même embauché un «coordonnateur des membres-Québec» chargé de traiter les demandes d'adhésion en provenance de la province, selon un avis disponible sur le site Internet du NPD. On veut de cette façon s'assurer que les nouvelles inscriptions seront rapidement traitées, ce qui n'aurait pas toujours été le cas dans le passé. «Il y a eu des problèmes majeurs d'organisation et de bureaucratie qui ralentissaient la livraison des cartes», affirme Thomas Mulcair en entretien.
Tous les candidats devront donc composer avec la réalité actuelle. Le Québec a fourni 35 % des 4,5 millions de votes du NPD lors des dernières élections et le caucus du parti est composé à 58 % de députés québécois, soit. Mais cela aura peu de poids dans une course où les règles du jeu donnent à chaque membre un vote, sans répartition régionale. Avec ses 9000 membres qui n'ont fait élire aucun député, la Saskatchewan aura de cette façon un poids trois fois plus important que le Québec (à moins que les Québécois s'inscrivent en masse d'ici au 18 février).
Dans son billet pour le bulletin The National à CBC, le chroniqueur Rex Murphy qualifiait jeudi la politique du «un membre, un vote» «d'absurde», voire de «suicidaire», dans les circonstances actuelles. En entretien avec Le Devoir plus tôt cette même journée, Thomas Mulcair affirmait de son côté qu'il ne se «plaignait pas» de la situation, mais relevait un «fait objectif et mathématique».
Toutefois, puisque le parti ne mènera pas de campagne spéciale au Québec, c'est aux militants et aux députés de redoubler d'ardeur pour recruter des membres, dit M. Mulcair. «Il y a pour nous une obligation de résultat, reconnaît le député. Nous devons aller chercher un membership qui va nous donner du poids.»
Raoul Gébert croit possible de porter à environ 10 000 membres la taille du NPD-Québec d'ici le 18 février. «L'objectif pour 2015, c'est d'avoir environ 30 000 membres [500 par circonscription détenue], dit-il. Mais à l'intérieur de quatre ou cinq mois, ce n'est pas réaliste.»
Il affirme que «les élections et la course au leadership rendent beaucoup plus facile la sollicitation. Les membres auront la chance de choisir le prochain chef, et peut-être le prochain premier ministre, dit M. Gébert. C'est plus vendeur quand on peut dire que la carte de membre peut changer des choses. Quand j'ai adhéré au NPD en 2000, ce n'était pas tout à fait aussi séduisant...»
Candidat probable à la course, Peter Julian ne s'inquiète pas de l'état actuel du membership au Québec. Député en Colombie-Britannique, M. Julian a vécu 14 ans au Québec et était le principal organisateur du NPD au Saguenay à la fin des années 80. «En quelques mois, nous avons fait passer le nombre de membres de quelques douzaines à près de 2500, se rappelle-t-il. Au prorata de la population, nous avions la circonscription la plus militante du pays. Or le contexte n'était pas aussi intéressant qu'aujourd'hui.»
Ce qui lui fait dire que les «portes sont grandes ouvertes» actuellement pour que le NPD fasse le plein de membres, à condition que les néodémocrates y mettent l'effort nécessaire. «C'est aussi pour ça que le vote se tient à la fin du mois de mars: nous aurons le temps de convaincre des milliers de Québécois d'embarquer», pense M. Julian.
Réflexion
Jusqu'ici, le recrutement de membres au Québec n'avait jamais été une priorité pour le NPD. Par exemple, la circonscription de M. Mulcair ne compte que 200 membres, même si le député la représente depuis quatre ans. «Notre principale priorité a été d'aller chercher des candidats, explique M. Mulcair. La prochaine obligation, c'était de bâtir le reste.»
Sa capacité à faire fi de cet obstacle influencera certainement la décision de M. Mulcair quant à une éventuelle candidature. Pour l'instant, il mesure ses appuis. «Je ne me lancerai pas dans la course sans avoir une structure qui me permettra de me rendre jusqu'à la ligne d'arrivée», explique-t-il. Pendant que Brian Topp accumule les appuis, lui jauge les siens dans l'ombre.
De passage aux Francs-tireurs cette semaine, M. Mulcair avait résumé sa démarche en rappelant «qu'avant de plonger dans une piscine, il faut s'assurer qu'il y a assez d'eau. On est en train de remplir la piscine».
Alors, dans l'attente, il place son jeu et ne manque pas une occasion de mettre en avant ses atouts: contrairement à M. Topp, lui est élu. Il a été nommé leader parlementaire, gage de «l'énorme confiance» que lui vouait M. Layton, glisse-t-il. S'il a «froissé» certaines personnes depuis son arrivée au NPD, c'est parce que Jack Layton lui a «donné le mandat et les ressources pour aller chercher des sièges au Québec, et qu'il y avait une obligation de résultat»...
Et si plusieurs vantent les qualités conciliantes de Brian Topp, M. Mulcair ne se prive pas d'affirmer que c'est d'abord d'un débatteur féroce qu'a besoin le parti. «Nous allons avoir des débats robustes à la Chambre des communes, où on va se dire les vraies affaires et où il ne faudra jamais reculer devant les tentatives d'intimidation et de menaces» des conservateurs, pense-t-il.
Pour l'instant, seuls Brian Topp et Roméo Saganash (qui n'a aucun appui officiel) se sont déclarés candidats. Les députés Paul Dewar, Peggy Nash, Niki Ashton, Peter Julian, Nathan Cullen et Robert Chisholm devraient prendre une décision d'ici une dizaine de jours.