Olivia Chow au Devoir - Continuer, la tête hors de l'eau

C'est notamment pour pouvoir reprendre la vie la plus normale possible que Mme Chow a passé les journées de lundi et d'hier à donner des entrevues à certains médias canadiens.
Photo: Agence Reuters C'est notamment pour pouvoir reprendre la vie la plus normale possible que Mme Chow a passé les journées de lundi et d'hier à donner des entrevues à certains médias canadiens.

Ottawa — Au téléphone, sa voix est douce. Très douce. Mais elle ne flanche pas. Une quinzaine de jours après la mort de Jack Layton, Olivia Chow garde en elle ce mélange de fragilité et de force que reflétait sa posture près du cercueil de son mari exposé au parlement. Encore ébranlée, encore désorientée, mais déjà convaincue qu'il n'y a qu'un remède à la douleur: continuer. À vivre et à travailler.

Elle était donc de retour au travail hier soir — une réunion sur le transport en commun — premier pas vers la reprise de ses activités de députée de Trinity-Spadina (Toronto). Le 19 septembre, Olivia Chow entend être présente pour la rentrée parlementaire. De même que pendant les semaines suivantes. Elle agit dans le deuil comme Jack Layton dans la maladie: sans s'arrêter.

C'est notamment pour pouvoir reprendre la vie la plus normale possible que Mme Chow a passé les journées de lundi et d'hier à donner des entrevues à certains médias canadiens. Une façon de vider le bassin des questions difficiles, de faire face à la musique et de tourner la page. «Ce n'est pas que j'y tiens, mais je sais que j'aurais autrement passé les prochaines semaines à répondre à ces questions. Aussi bien tout faire maintenant, pour pouvoir continuer», dit-elle.

Un peu de «brouillard»

En revenant sur les événements ayant entouré le décès de l'homme avec qui elle vivait depuis 25 ans, Olivia Chow aura quelques trous de mémoire durant la conversation. Ou plutôt: quelques difficultés à bien nommer les émotions, à se rappeler les états d'âme. Il y a un peu de «brouillard» dans la région.

Ainsi prendra-t-elle quelques minutes avant de verbaliser ce qu'elle a ressenti le 25 juillet, quand M. Layton a annoncé qu'un nouveau cancer le forçait à se retirer de ses fonctions. Elle cherche. Puis se souvient. «J'étais contente qu'il prenne une pause pour se concentrer sur les traitements et qu'il soit capable de faire la déclaration... Je savais que la bataille serait difficile, mais il était prêt à mettre tout ce qu'il avait pour réussir. Et j'allais être là à ses côtés.»

Quand il a dit qu'il serait de retour en Chambre le 19 septembre, Jack Layton y croyait. Et Olivia Chow aussi. «Sincèrement, on se disait que les traitements allaient fonctionner, comme ils ont fonctionné pour mon cancer. Et comme ils fonctionnent pour tant de gens... Mais il y a des choses dans la vie qui ne se contrôlent pas. La naissance, la mort. Ça arrive. Ça fait partie du mystère de la vie, et c'est quelque chose qui nous impose une certaine humilité», confie-t-elle.

Très vite

Avant cette rechute, Jack Layton allait bien, dit Olivia Chow. Lui qui n'a pas pris une journée de vacances entre l'annonce de son premier cancer (prostate) et le second (que la famille ne veut pas identifier pour «ne pas décourager les patients qui souffrent du même cancer»), il n'avait pas besoin d'en prendre, croit son épouse. «Il était en forme, vous l'avez vu durant la campagne électorale. Il allait bien. À Vancouver [au congrès du NPD à la mi-juin], nous avons dansé. Il était en santé, il était fort, il n'était pas souffrant.»

La douleur est apparue à la fin de la session parlementaire, puis tout est allé très vite. Le diagnostic. La conférence de presse, avec les traits émaciés et la voix méconnaissable. Les traitements. Et l'évidence que ça n'irait pas, qu'il n'y arriverait pas. «Nous avons compris, dans les quelques jours ayant précédé sa mort, que c'était fini», dit Olivia Chow.

Dans ses dernières heures, Jack Layton a pu revoir ses amis, sa famille. Et surtout écrire cette lettre-testament qui a fait grand bruit. Une profession de foi envers la sociale-démocratie — comme l'a rappelé Stephen Lewis lors de ses funérailles — et des notions d'espoir et d'optimisme auxquelles M. Layton tenait. C'est entre autres de savoir que ces valeurs allaient lui survivre qui a aidé M. Layton «à approcher la mort paisiblement», selon sa femme.

Car il est mort sans remords. «Il n'a jamais été en colère. Il a accepté que sa vie achevait. Pour lui, il n'y avait pas d'injustice, pas de regret. Il a vécu sa vie comme il le souhaitait, en profitant de chaque instant. Alors, pourquoi se mettre en colère contre quelque chose qu'on ne contrôle pas? Il y a une part de mystère qu'il faut accepter, c'est tout.»

Mais ce n'est évidemment pas facile pour ceux qui restent. Olivia Chow le mesure depuis deux semaines. Le vide est grand. Les funérailles d'État terminées (un processus à la fois «difficile», parce qu'il impose un deuil en public, et «très réconfortant», parce qu'il offre mille occasions d'expressions de sympathies), Mme Chow s'est retirée dans la nature, au bord d'un lac que Jack Layton et elle avaient l'habitude de fréquenter.

«Il fallait que je nage dans le lac, que je coure, que je marche dans la montagne, dit-elle. Ce sont des choses que l'on faisait ensemble, et je ne voulais pas craindre de ne pas être capable de les faire seule. Je voulais être sûre d'être capable. Et je l'ai fait.»

Dans les circonstances, nager lui fait particulièrement du bien: elle peut pleurer à sa guise, sans personne pour voir ses larmes. Olivia Chow sait qu'il y aura dans les prochains mois des moments difficiles qui nécessiteront quelques longueurs de brasse. Mais il ne faut pas compter sur elle pour s'apitoyer sur son sort. C'est aussi ce qu'elle est allée vérifier au lac: sa capacité à tenir la tête hors de l'eau.

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