La rumeur

Le chef intérimaire du Parti libéral, Bob Rae, a été clair: il faut reconstruire le parti.
Photo: Agence Reuters Dave Chan Le chef intérimaire du Parti libéral, Bob Rae, a été clair: il faut reconstruire le parti.

Ottawa — Il a suffi d'une petite anecdote concernant une conversation badine à bord d'un vol Toronto-Montréal pour que la machine à rumeurs s'emballe à Ottawa. L'ancien premier ministre Jean Chrétien s'était amusé à narguer la députée néodémocrate de son ancienne circonscription, Lise Saint-Denis, à bord de l'avion les ramenant des funérailles du chef du NPD, Jack Layton. «Si vous m'aviez écouté avant l'élection, Stephen Harper ne serait pas au pouvoir aujourd'hui.» Du coup, la question s'est retrouvée sur toutes les lèvres: le NPD et le Parti libéral, tous deux sans chefs permanents, devraient-ils entreprendre des négociations pour fusionner?

L'anecdote, rapportée dans La Presse de lundi, a alimenté les questions des journalistes qui devaient justement couvrir le caucus présessionnel du Parti libéral s'annonçant jusque-là sans nouvelle. Une fusion devrait-elle être envisagée? Pour l'instant, seuls les forts en gueule des deux formations répondent par «oui, peut-être».

«Moi, j'ai toujours dit que le temps est venu de réfléchir sur la situation des forces progressistes au Canada. On est dans une conjoncture intéressante qui sera propice aux débats», a expliqué le député Denis Coderre, à son arrivée au caucus lundi. «Est-ce que le temps est venu, pas tout de suite, mais d'amorcer un débat sur l'avenir des deux partis? Doit-on prendre en considération un futur parti libéral-démocrate ou démocrate-libéral. Moi personnellement, j'ai toujours dit que j'étais d'accord avec ça. [...] Ça devient incontournable.»

Du côté néodémocrate, c'est le député Pat Martin qui se fait porteur de l'idée. M. Martin, un député de Winnipeg très apprécié, est connu pour ses sorties fracassantes et ses formules incisives. «Il est temps d'enterrer la hache de guerre. Nos deux partis ont des failles importantes, mais nous avons beaucoup plus de points en commun que de différences.» Il a indiqué cette semaine qu'il devait y avoir un candidat pro-fusion dans la prochaine course à la direction néodémocrate et que, s'il n'y en avait pas, il se lancerait lui-même. «C'est ce que je veux entendre d'un candidat au leadership, et je ne suis pas le seul.»

En décembre 2008, quand les conservateurs ont refusé de proposer des mesures de relance économique autres que la fin des subventions étatiques aux partis politiques, des discussions entre M. Chrétien et l'ancien chef du NPD Ed Broadbent avaient mené à la formation d'une coalition. Ce projet a finalement avorté quand Michael Ignatieff a refusé de renverser Stephen Harper. M. Chrétien est revenu à la charge 2010 en lançant: «Si c'est faisable, faisons-le!» Ed Brodbent, vénéré au NPD, n'embarquait pas et n'embarque toujours pas. Il a écrit cette semaine dans le Globe and Mail qu'il avait été d'accord pour une coalition ad hoc en 2008, mais jamais pour une fusion pure et simple. «Je rejette l'idée d'une fusion.»

La fusion est souvent évoquée comme la seule solution de rechange pour remplacer les conservateurs de Stephen Harper. Certains analystes estiment que rien n'est moins certain. Le NPD ayant des racines contestataires, il n'est pas acquis que ses adhérents continueraient à appuyer une formation dont l'objectif est désormais le pouvoir à tout prix. Inversement, les militants libéraux, dont certains sont très conservateurs sur le plan fiscal, pourraient être rebutés par l'association avec un parti aux racines «socialistes».

Justin Trudeau s'est d'ailleurs fait le porteur de cette thèse mercredi en rappelant que rien ne garantissait qu'un parti fusionné récolterait tous les votes obtenus auparavant par le NPD et le PLC séparément. «Ce n'est pas certain qu'une fusion en gagnerait plus qu'on en perd.»

Des voix dans le désert

Faut-il y voir le signe qu'il n'a pas reçu beaucoup d'appuis? Denis Coderre a répété à plusieurs reprises, après que le chef Bob Rae eut qualifié l'idée d'une fusion de «fiction», qu'il exprimait seulement une idée personnelle et a refusé toute autre demande d'entrevue.

En entrevue avec Le Devoir, le néodémocrate Pat Martin reconnaît de son côté qu'il ne s'est pas fait beaucoup d'amis au sein du caucus avec sa sortie pro-fusion. «Je dois admettre que je n'ai pas fait l'objet d'un grand déversement d'appuis de mes collègues du caucus. Ça rend les gens nerveux, mais en tant que député vétéran, je n'ai pas peur.» Il estime que l'appui est ailleurs, dans la population en général qui voudrait défaire M. Harper à la prochaine élection. Il mentionne d'ailleurs qu'il a reçu plusieurs courriels, lettres et téléphones de la part d'électeurs l'appuyant dans sa démarche.

Pat Martin ne plaide pas nécessairement pour une fusion, mais pour une coopération d'une forme ou d'une autre. «Ça n'a pas besoin d'être permanent. Ce pourrait être une entente ponctuelle par laquelle, par exemple, on s'entend sur dix enjeux sur lesquels on est d'accord.» Il reconnaît que convaincre son parti sera difficile. «La plupart des néodémocrates croient qu'ils peuvent défaire Stephen Harper sans les libéraux. Mais moi, je dis: pourquoi prendre le risque?»

D'autres priorités

Le chef intérimaire libéral, Bob Rae ne veut pas se laisser distraire par ces discussions et parle plutôt de reconstruction du parti. Son message sera clair cet automne lors de la rentrée: malgré ses maigres 34 sièges à la Chambre des communes, le Parti libéral n'est pas mort.

De fait, lors de son discours à ses troupes, lundi, il a pris une attitude et adopté un ton laissant presque entendre que c'était lui le chef officiel de l'opposition. Il est le seul chef bien en selle avec de l'expérience, Nycole Turmel, la chef intérimaire du NPD, n'ayant que trois semaines d'expérience parlementaire dans le corps tandis que le Bloc québécois, sans statut officiel, n'a pas de chef. «Le Parti libéral se retrouve dans l'opposition face à Stephen Harper, et nous allons combattre ce gouvernement à chaque instant», a lancé Bob Rae.

Le Parti libéral espère briller en mettant en valeur son expérience parlementaire et ministérielle. Le PLC compte dans ses rangs 14 élus ayant déjà été ministres fédéraux ou premier ministre provincial. De plus, 19 d'entre eux siègent à Ottawa depuis plus de 10 ans. Au NPD, seulement trois des 103 élus ont déjà été ministres provinciaux: Thomas Mulcair au Québec et David Christopherson et Irene Mathyssen en Ontario. Six des 103 élus siègent à Ottawa depuis plus de 10 ans.

«On a un bassin de talent impressionnant, et on veut le mettre en valeur», explique un stratège libéral. La sortie de Bob Rae sur l'économie sert deux objectifs, explique ce stratège. «On estime que les conservateurs sont vulnérables sur le front économique. Ils parlent de l'économie, mais pour dire que tout va bien et qu'il faut couper. Quand il va y avoir une contraction et que les gens vont perdre leurs emplois, ils vont voir qu'on comprend davantage que les conservateurs.» L'autre objectif est d'avertir les conservateurs tentés de discréditer M. Rae pour son passage à la tête de l'Ontario marqué par les turbulences économiques qu'il «n'a pas peur».

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