Le secret entoure les compressions à Ottawa

Ottawa — Le gouvernement conservateur procédera-t-il visière levée à l'importante réduction de dépenses qu'il promet pour l'an prochain? Si le passé est garant de l'avenir, il y a fort à parier qu'il donnera l'information au compte-gouttes, et ce, s'il en fournit. Car le gouvernement se montre très secret au sujet des compressions déjà effectuées, a pu constater Le Devoir.
Depuis 2007, les conservateurs ont, chaque année, exigé qu'une poignée de ministères et d'organismes procèdent à un examen stratégique de leurs dépenses. Quatre ont déjà eu lieu et devraient générer des économies totales de 1,8 milliard de dollars par année d'ici à 2014-2015.Cette année, le gouvernement poussera l'exercice beaucoup plus loin en demandant, d'ici au prochain budget, à 67 ministères et organismes, y compris ceux qui ont déjà donné, de proposer des économies représentant entre 5 à 10 % de leurs dépenses de programmes. Le but de cet «examen stratégique et fonctionnel» est d'éliminer 4 milliards de plus par année afin de combler le déficit une année plus tôt que prévu.
Depuis que cette annonce a été faite, tout le monde se demande ce qui sera amputé, modifié ou éliminé. Mais encore faut-il savoir ce qui a été fait avant pour déterminer où il est encore possible de couper. Le Devoir a tenté de débroussailler le tout en cherchant à savoir quels programmes ou services avaient été réduits ou abolis à l'issue de deux des quatre premiers examens stratégiques.
Une trentaine de ministères, agences, commissions, conseils subventionnaires et sociétés de la couronne — 29 pour être précis — ont été contactés. Toutes ces organisations ont participé à l'examen stratégique de 2008 ou de 2009 ayant généré des économies d'un demi-milliard la première année et devant déboucher, à terme, sur des économies annuelles de 892 millions. Comme ces compressions ont démarré il y a deux ou trois ans, on pourrait croire qu'elles sont du domaine public. Ce n'est pas le cas. Des 29 entités contactées, seulement 16 ont répondu malgré les deux semaines et demie accordées aux fonctionnaires pour ce faire.
Certains des plus importants ministères, soit ceux des Ressources naturelles (43,3 millions de dollars d'économies récurrentes annuelles après trois ans), de l'Environnement (19,7 millions), de la Sécurité publique (14,9 millions), des Ressources humaines (7,3 millions), des Anciens Combattants (24 millions), n'ont pas daigné répondre au-delà d'un accusé de réception ou d'un énoncé purement politique.
Même mutisme pour deux des trois plus importants organismes centraux de gestion des ressources humaines, soit le Secrétariat du Conseil du Trésor, qui pilote l'examen stratégique de cette année, et l'Agence de la fonction publique du Canada (113,2 millions, mais on ignore la part de chacun). Silence radio aussi de la part de la Société canadienne d'hypothèques et de logement (la SCHL, 102,2 millions) et de la Commission de la capitale nationale (4,2 millions).
Un mandat fort... et des congédiements
Le ministère des Ressources humaines, par exemple, n'a pas expliqué comment son Programme du travail avait économisé en 2010-2011 les 2,1 millions affichés. C'est le cabinet de la ministre Diane Finley qui y est allé d'une réponse politique se voulant réconfortante. «Les Canadiens travaillent fort pour leur argent et s'attendent à ce que leur gouvernement l'utilise intelligemment», a écrit Ann Matejicka dans un courriel. Invitée à fournir plus de détails, Mme Matejicka a pris une autre semaine pour répondre, en anglais: «Nous avons un plan de mise en oeuvre en ce qui a trait à l'examen stratégique dont nous publierons les détails en fonction de ce plan.»
Mme Matejicka a ajouté que le gouvernement conservateur avait obtenu un «mandat solide» à l'élection du 2 mai dernier. Cet argument du «mandat fort» ou «solide» a aussi été utilisé par le ministère de l'Environnement et celui des Anciens Combattants comme paravent pour ne piper mot.
Le mutisme de certains ministères ne serait toutefois pas entièrement leur faute. Selon nos informations, certains de ces ministères muets ont préparé des réponses, mais celles-ci ont été bloquées au niveau politique, le ministère du premier ministre en expurgeant les détails.
Ce secret sur la gestion conservatrice des fonds publics oblige les politiciens et les médias à tâtonner pour essayer de dégager une vue d'ensemble. Par exemple, c'est après avoir reçu des courriels d'employés à Environnement Canada que la chef du Parti vert, Elizabeth May, a appris que 46 employés destinés à la recherche sur les changements climatiques s'étaient fait montrer la porte. Le ministre Peter Kent a admis en entrevue que ces licenciements étaient le fruit d'un des examens stratégiques.
C'est par les syndicats que l'on a aussi appris la semaine dernière le départ de près de 700 employés à Travaux publics, dont 92 vérificateurs qu'Ottawa remplacera par le secteur privé.
Le ministère de la Sécurité publique a pour sa part eu recours à la bonne vieille langue de bois pour éluder certains points. Le document budgétaire indique que le ministère a épargné 38,5 millions en harmonisant ses dépenses en capital. Qu'est-ce que cela signifie? Le ministère, écrit la porte-parole Suzanne Leclerc, «a été capable d'absorber les réductions budgétaires en capital tout en étant en mesure de gérer efficacement les activités de ses programmes». Même opacité à la Gendarmerie royale du Canada (9,3 millions d'économies en 2009-2010). Dans une première réponse, on dit avoir réalisé des économies d'échelle et réduit le financement d'un programme non identifié. La précision est venue plus tard, vendredi.
Des volontaires et des champions
D'autres entités ont fait preuve d'un peu plus d'ouverture, comme les ministères des Transports, de la Justice et des Services correctionnels alors que d'autres n'ont pas ménagé les détails.
Agriculture et Agroalimentaire Canada a épargné gros en 2009-2010 en remplaçant des programmes qui avaient mal vieilli. Le Programme de paiement au titre des coûts de production, cultures et couverture et le Programme international du Canada pour l'agriculture ont été abandonnés et remplacés par de nouveaux, moins chers. L'économie nette est de 127,2 millions par année. Le reste a été épargné en «gain d'efficacité».
À Santé Canada, on a précisé que des 37 millions économisés, 7,3 millions l'ont été en réduisant les voyages et les dépenses engagées dans le cadre de conférences. Six autres millions ont été trouvés en déménageant des bureaux du centre-ville d'Ottawa vers des locaux moins onéreux en banlieue. À l'Agence de santé publique, on a épargné 2,3 millions en mettant fin à des activités de prévention des maladies chroniques, qui relèvent des provinces.
La Commission nationale des libérations conditionnelles dit avoir retranché 2,3 millions de dollars en deux ans en cessant de tenir des audiences pour décider d'assortir une libération d'office d'une assignation à résidence. On s'en tient maintenant à l'analyse du dossier. De plus, le nombre de commissaires a été réduit de trois à deux pour rendre des décisions dans les cas de maintien en incarcération, d'admissibilité à la libération conditionnelle à la moitié de la peine ou de condamnés à une peine à perpétuité ou à durée indéterminée.
Certains organismes ont été d'une aide impeccable. C'est le cas des Conseils subventionnaires, de l'Agence spatiale canadienne, de la Commission de la Fonction publique. Les réponses étaient précises, factuelles et ne cachaient rien de sinistre.