Travaux publics perd ses chiens de garde

Ottawa — L'exercice de réduction des dépenses du gouvernement fédéral fait une victime imprévue: toute l'équipe de vérification interne du ministère des Travaux publics sera abolie. C'est la capacité du gouvernement de s'assurer que ses contrats sont bien administrés qui passe ainsi à la trappe.

Le ministère des Travaux publics se présente lui-même comme «le principal banquier, comptable, acheteur central» du gouvernement fédéral. Il gérera cette année un budget de 2,6 milliards de dollars et les principaux contrats accordés par Ottawa. Travaux publics avait une équipe interne d'une centaine de vérificateurs pour surveiller les pratiques du ministère. Elle sera démantelée.

Le ministère a fait parvenir une lettre jeudi au syndicat l'informant qu'au terme d'un processus de réduction des dépenses, 687 emplois (sur environ 14 000) seront éliminés à Travaux publics au cours des quatre prochaines années, dont 92 vérificateurs.

«Cela représente la totalité de l'équipe de vérification du ministère des Travaux publics», confirme au Devoir Gordon Bulmer, le représentant syndical du ministère. «Lors de l'examen stratégique, les ministères étaient invités à identifier les fonctions fondamentales et à éliminer celles qui soit ne sont pas fondamentales, soit qui représentent des duplications.»

Dans un courriel envoyé au Devoir, le ministère explique que «Travaux publics s'est engagé à fournir davantage d'occasions d'affaires aux petites et moyennes entreprises et aux entreprises canadiennes. Étant donné que des services de vérification sont offerts dans le secteur privé et dans les autres ministères, les activités de Services de vérification Canada seront éliminées progressivement.»

Un rôle essentiel du ministère


Pour M. Bulmer, cela n'a aucun sens, car il s'agit au contraire d'un «rôle essentiel du ministère». «Dans quelle mesure l'argent est-il en sécurité? C'est ça la question. [...] Ce gouvernement a tendance à être beaucoup moins ouvert sur plusieurs fronts. Pensons seulement aux dépenses du G8 qui ne sont jamais passées par Travaux publics. Alors, l'élimination de ce service de surveillance fera en sorte qu'il sera encore plus facile de passer par la porte d'en arrière.»

Dans son plus récent rapport, le vérificateur général par intérim a dénoncé l'utilisation politique de 50 millions de dollars par le ministre de l'Industrie d'alors, Tony Clement, pour des projets dans sa circonscription reliés aux sommets du G8 et du G20. Le ministre et six maires ont décidé comment partager la tarte selon aucun critère de sélection connu.

Ironiquement, dans ce même rapport, le vérificateur saluait la consolidation des services de vérification interne au gouvernement fédéral. «Nous avons aussi relevé des progrès satisfaisants concernant la vérification interne, a déclaré John Weirsema. Une fonction de vérification interne solide peut aider une organisation à atteindre ses objectifs, à améliorer ses pratiques de gestion et à accroître son efficacité. Je félicite le gouvernement d'avoir apporté des améliorations importantes à la vérification interne.»

Le président de l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada, Gary Corbett, se demande pourquoi ce service est aboli alors que le gouvernement s'apprête à donner des contrats militaires de milliards de dollars. «Je ne suis pas un adepte des théories du complot, mais je trouve très étrange qu'ils réduisent le nombre de vérificateurs parce que ce sont eux qui vérifient la façon dont les ministères font des affaires et s'assurent qu'il n'y a pas de problèmes.»

Libérer une marge de manoeuvre

À la Chambre des communes, la ministre des Travaux publics, Rona Ambrose, a indiqué que les économies générées «offriront la marge de manoeuvre nécessaire pour rembourser la dette et investir dans les priorités des Canadiens, y compris réduire les impôts des familles».

La députée néodémocrate et critique aux Travaux publics, Nycole Turmel, rappelle que le scandale des commandites s'était produit à Travaux publics, justement. «Cela va affecter les citoyens.»

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Précision du 22 juin 2011

Contrairement à ce que nous écrivions dans l’article précédent, tous les vérificateurs du ministère fédéral n’ont pas été remerciés. Certains vérificateurs sectoriels resteront en poste. Il s’agit d’une précision que le syndicat avait omis d’apporter lors de deux entrevues. Travaux publics soutient que seule la section de vérificateurs offrant des services aux autres ministères fédéraux a été abolie. Il s’agit d’une information que le ministère n’avait pas jugé bon de fournir au moment de notre requête initiale.

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