Verner: un contrat embarrassant

La ministre Josée Verner a accordé un contrat gouvernemental de rédaction de discours à un contributeur régulier de sa caisse électorale. Luc Ouellet, de la firme de relations publiques National, est un proche de Mme Verner et un ex-organisateur conservateur à Québec. Il a reçu plus de 6000 $ pour un texte de 1400 mots, qui n'a pas été utilisé entièrement.
Le Devoir enquête sur ce contrat depuis plus d'un an, mais une investigation de la commissaire à l'information du Canada a retardé la recherche. Le bureau du Conseil privé refusait de divulguer des documents.
L'histoire concerne le seul discours que Mme Verner a livré en tant que ministre des Affaires intergouvernementales, le 30 janvier 2009, devant la Chambre de commerce de Québec.
Son discours est en ligne sur le site Internet du gouvernement (www.pco-bcp.gc.ca/aia) dans la section «Médias».
Cette allocution visait à renforcer le message du gouvernement concernant le budget fédéral, dévoilé quelques jours plus tôt dans un climat de crise, alors qu'une prorogation controversée avait permis au premier ministre Harper de ne pas être renversé par une coalition PLC-NPD.
Le discours a été rédigé par le bureau de Québec de la firme National au coût de 6100 $ (6405 $ avec les taxes). Selon les documents obtenus en vertu de la Loi d'accès à l'information, c'est Luc Ouellet, l'associé-directeur de la firme à Québec, qui a signé le contrat avec le gouvernement fédéral. Un contrat accordé sans appel d'offres, comme le permet le Conseil du trésor pour les ententes de moins de 25 000 $.
Or, M. Ouellet est un proche de Josée Verner. Il est dans le giron conservateur depuis 1983 et il a contribué à l'organisation du Parti conservateur dans la région de Québec en 2004, au moment où Mme Verner a fait le saut en politique.
Quatre mois après l'obtention du contrat de rédaction du discours, le 4 juin 2009, Luc Ouellet était présent à une soirée de financement de Josée Verner à 500 $ le billet au chic établissement Auberge Saint-Antoine, dans le Vieux-Québec. Selon le registre d'Élections Canada, 71 personnes ont acheté des billets, mais une soixantaine de personnes se sont présentées. Mme Verner a alors remercié et salué publiquement Luc Ouellet lors de son allocution de bienvenue.
M. Ouellet n'était toutefois pas l'organisateur de la soirée. «Je ne vous cacherai pas qu'il en a acheté [des billets]. Il en a peut-être parlé à des gens et vendu des billets, mais il n'était pas le responsable de l'organisation, parce que c'était moi», affirme Jean-Nicholas Marchand, le président de l'association conservatrice de Louis-Saint-Laurent et directeur de la campagne de Josée Verner. Il ajoute: «C'est un supporter conservateur de longue date. Il a déjà donné dans le passé.»
Luc Ouellet affirme que le contrat accordé à sa firme par le cabinet de la ministre Verner n'a aucun lien avec son engagement politique ou le cocktail de financement du 4 juin 2009. «Ça fait 35 ans qu'on est en affaires. Ça manque de sérieux. C'est ridicule! Mme Verner n'a pas acheté les services de Luc Ouellet pour vendre des billets de financement, voyons! Il n'y a pas de lien entre les deux», dit-il.
Il affirme être «très à l'aise» avec la situation. «Je trouve ça un peu tordu comme raisonnement. Je suis conservateur depuis très longtemps. C'est certain que, des fois, je supporte la cause. Mais la vérité, c'est que travailler pour le gouvernement, ce n'est pas payant. Quand on divise 40 heures par 6000 $, ce n'est pas intéressant pour nous.» Il dit avoir accepté le contrat parce qu'il «aime beaucoup Mme Verner». «Ce sont eux qui ont insisté», dit-il.
Interrogée hier par Le Devoir, Mme Verner a elle aussi rejeté du revers de la main un possible lien. «Tout ce qui se fait en matière de financement, c'est extrêmement transparent. Mes consignes sont très claires là-dessus. On suit les règles.»
Pourquoi avoir fait appel à une firme privée, alors que le gouvernement met des rédacteurs de discours à la disposition des ministres? Josée Verner soutient que le contexte était particulier et que son équipe n'était pas encore en place à la suite des élections d'octobre 2008. «Quand il est question de la région de Québec, il n'y a personne pour faire ça. Surtout dans un très court délai», dit-elle.
La ministre convient que plusieurs autres firmes auraient pu faire ce travail dans la capitale, mais elle a choisi celle de Luc Ouellet. «Ça fait 42 ans que je vis à Québec, alors je me suis tournée vers eux. Il y en a d'autres, mais je les connais», affirme Mme Verner, qui ajoute: «C'est loin d'être un retour d'ascenseur! On était pressés par le temps et on n'avait pas les ressources, c'est tout. [...] Ça correspond aux règles du Conseil du trésor.»
Une aide utile?
Le discours du 30 janvier 2009 fait à peine 1400 mots. Le coût par mot est donc de 4,40 $. À titre de comparaison, les magazines canadiens qui payent le mieux leurs pigistes sont à 1 $ le mot. De plus, un tiers du discours (500 mots) reprend des phrases et des chiffres du budget, en format schématique. Une partie se trouve être du copier-coller du document budgétaire.
Or, malgré la facture salée, l'expertise de la firme National a été peu utilisée lors du discours du 30 janvier 2009. L'équipe de Mme Verner à l'époque, notamment son directeur des communications, Pierre Floréa, son chef de cabinet, Martin Dumont, et son directeur régional, Jean-Nicholas Marchand, ont retravaillé à la dernière minute, la veille, presque tout le discours, qui présente une version définitive fort différente de celle rendue par National. Pourquoi? Joints par Le Devoir hier, Pierre Floréa et Martin Dumont ont refusé de commenter le dossier.
Luc Ouellet affirme que son équipe chez National «n'a pas l'habitude de livrer du copier-coller». «Ça fait 35 ans qu'on est en affaires et on ne fait pas du copier-coller.» Il soutient toutefois ne pas être insulté de ce que le bureau de la ministre ait repris le travail de sa firme. «On fait un squelette, on bâtit un discours autour des informations qu'on a, on fait de la recherche pour les données économiques de la région de Québec, et ainsi de suite. Mais je ne connais pas de ministre qui ne retravaille pas les discours. Elle fait ce qu'elle veut pour se le mettre en bouche», dit-il.
M. Ouellet précise que la facture de 6100 $ est «dans les normes». «Dans ce 6000 $, il y a la recherche, pas seulement la rédaction du discours. Il faut l'adapter à la région», dit-il. Mme Verner soutient que son équipe a simplement mis «son grain de sel». «Je retravaille toujours mes discours pour leur donner une couleur Québec», dit-elle.
Mais n'était-ce pas le travail de National? Jean-Nicholas Marchand affirme que lui et ses collègues ont «adapté encore plus à la région» l'allocution. Et pour les éléments de copier-coller dans le discours livré à la Chambre de commerce de Québec? «Je ne peux pas réécrire le budget! Ils ont fait la recherche et ils ont mâché les mots pour le rendre accessible à l'ensemble des gens», dit Mme Verner.