Lutte contre le crime - Les lois de Harper sont inconstitutionnelles
Ottawa — Le gouvernement de Stephen Harper a reçu une gifle juridique hier alors qu'un juge québécois a déclaré inconstitutionnel un de ses projets de loi imposant des peines de prison minimales jugées «excessives». Selon l'avocat victorieux, plusieurs autres projets de loi conservateurs subiront le même sort.
«Ça s'en va en appel, c'est sûr, et moi je me suis engagé à monter cette cause jusqu'en Cour suprême s'il le faut», explique en entrevue au Devoir l'avocat Louis Gélinas. «Eux [le gouvernement] n'auront pas le choix d'en faire autant. C'est quand même une loi qui vient d'être déclarée illégale. Ça n'arrive pas souvent, des jugements comme ça!» Selon lui, «les projets de loi conservateurs, ils vont tous être contestés. Le sixième de la peine et les autres».Selon l'avocat, la conséquence du jugement signé Valmont Beaulieu est de rendre la loi conservatrice «inopérante» parce que les autres personnes accusées en vertu des mêmes dispositions pourront l'invoquer. «Le juge a trouvé qu'il s'agissait d'un empiétement excessif sur le judiciaire par l'exécutif.»
La cause en question concerne Kevin Perry, qui avait 19 ans au moment des faits. En octobre 2008, à Sainte-Anne-des-Plaines, lui et un ami font une course de moto. Chacun roule à entre 120 et 140 kilomètres/heure dans une zone de 50. Kevin ralentit son bolide à l'approche d'une courbe, mais l'ami perd le contrôle du sien et meurt tandis que sa passagère est grièvement blessée. Kevin Perry est accusé de conduite dangereuse ayant causé la mort et des blessures.
Selon la loi telle que modifiée en 2007 par le gouvernement Harper, ce crime doit nécessairement être puni par une peine d'emprisonnement. Les peines purgées à domicile, infligées dans de 10 à 20 % des causes similaires, ne sont plus acceptées. Le juge Valmont Beaulieu n'est pas d'accord. Selon lui, la prison n'est pas dans le meilleur intérêt public parce que Kevin Perry s'est assagi et étudie depuis en administration et dirige son entreprise. Le juge impose donc une sentence de deux ans moins un jour à purger dans la collectivité.
«Le pouvoir judiciaire est étranger aux sondages, au désir d'être populaire et doit parfois même avoir du courage dans ses décisions», écrit le juge. Il a déclaré inconstitutionnels les articles 742.1 et 752 du Code criminel parce que les peines qui en découlent peuvent être excessives et violent donc la Charte des droits et libertés.
Le magistrat fait valoir dans son jugement que le gouvernement fédéral ne peut pas ainsi ligoter les juges à moins de vouloir les remplacer par des ordinateurs. «Ce sont les juges qui entendent les témoins, les causes, les accusés, les victimes, continue l'avocat Louis Gélinas. Et là, le gouvernement leur dit qu'ils ne peuvent plus décider, qu'ils sont limités dans leur rôle de juge. Le gouvernement dit qu'il est mieux placé, dans un bureau d'Ottawa, pour juger d'une sentence.»
Le ministre de la Justice, Rob Nicholson, n'a pas voulu commenter la décision, hier. «En raison du délai d'appel, nous ne pouvons commenter», a fait savoir sa porte-parole, Pamela Stephens.
Le gouvernement Harper compte beaucoup sur sa lutte contre le crime pour obtenir des appuis auprès de l'électorat. Un autre projet de loi conservateur fait l'objet d'une contestation judiciaire. Celui-là touche à la défense dite «des deux bières» rendant plus difficiles les contestations des résultats d'un alcootest. Plus de 2500 personnes en contestent la constitutionnalité. Un nombre si peu gérable que le procureur général du Québec a demandé de transmettre une cause type directement à la Cour suprême. Ottawa affirme toujours obtenir la confirmation que ses projets de loi sont constitutionnels avant de les déposer.