Loi d'accès à l'information - Le bureau de Paradis coupable d'ingérence

Un peu plus d'un an après avoir lancé son enquête sur le cabinet du ministre Christian Paradis, la commissaire à l'information du Canada a rendu public hier le premier de trois rapports qui conclut à une obstruction politique et au dysfonctionnement de la Loi d'accès à l'information depuis l'arrivée au pouvoir des conservateurs.
Le cabinet du ministre Christian Paradis est coupable «d'ingérence politique» dans la Loi d'accès à l'information, conclut la commissaire à l'information, Suzanne Legault. Cette dernière reproche aussi aux fonctionnaires d'avoir plié sous les ordres injustifiés de l'adjoint du ministre.Son rapport dévoilé hier fournit des munitions aux partis d'opposition, qui reprochent au gouvernement Harper de manquer de transparence et de bafouer les institutions démocratiques.
La ministre des Travaux publics, Rona Ambrose, a d'ailleurs transmis le rapport à la GRC, qui fera enquête sur l'ancien adjoint parlementaire du ministre Christian Paradis, Sébastien Togneri, qui est au centre de cette affaire. Il a démissionné le printemps dernier.
Le jugement de Suzanne Legault est sans équivoque. «La commissaire a conclu qu'un membre du cabinet du ministre avait entravé la divulgation de documents en vertu de la Loi en ordonnant à des fonctionnaires de reprendre le document à divulguer qui avait été préparé et en leur ordonnant ensuite de n'en divulguer qu'un chapitre. Les employés de cabinets ministériels n'ont pas le pouvoir de prendre de décisions en vertu de la Loi ou de donner des directives à des fonctionnaires d'une institution», peut-on lire dans le rapport.
L'intervention de Togneri
La controverse a éclaté lorsque La Presse canadienne a révélé que le bureau du lieutenant de Stephen Harper au Québec, Christian Paradis, avait délibérément empêché la divulgation d'un document qui devait être rendu public en vertu de la Loi d'accès à l'information. Le document était un rapport annuel sur le portefeuille immobilier du ministère des Travaux publics, qui contenait des informations factuelles sur le taux d'inoccupation élevé et les faibles rendements sur l'investissement. Le bureau de l'accès à l'information du ministère avait décidé, après de vastes consultations, qu'il n'y avait pas lieu de retenir ce rapport.
Mais, le 27 juillet 2009, le directeur des affaires parlementaires du ministre Paradis, Sébastien Togneri, ordonne de ne pas divulguer le document, même s'il est conforme aux critères de la loi. Un fonctionnaire a même dû se rendre in extremis au bureau de poste, à Ottawa, pour empêcher l'envoi du document.
La commissaire Legault confirme qu'un véritable système de filtre politique avait été mis en place à l'époque où Christian Paradis était ministre des Travaux publics (il est maintenant aux Ressources naturelles).
Les documents «intéressants» et «à profil élevé» étaient acheminés au bureau du ministre dans un dossier violet. M. Togneri se montrait parfois très directif envers les fonctionnaires afin que des documents «délicats» pour le ministre ne soient pas rendus publics.
Suzanne Legault affirme que M. Togneri n'avait aucun droit d'agir de la sorte. «Le directeur des Affaires parlementaires de l'époque ne possédait aucun pouvoir délégué de prendre des décisions sur des questions relatives à l'accès à l'information, aucun pouvoir légal de contester des interprétations de la Loi faites par des fonctionnaires du Ministère et aucun pouvoir légal de renverser une décision prise à bon droit en vertu de la Loi par des fonctionnaires.»
Aussi la faute des fonctionnaires
La commissaire à l'information apostrophe également les fonctionnaires qui se sont docilement conformés aux volontés des employés du ministre. «Le fait pour les membres du personnel politique d'aller au-delà de leurs attributions et de mettre en danger un processus qui a été conçu pour être objectif et non partisan a de graves répercussions. Les conséquences du comportement de fonctionnaires qui omettent d'exercer leur devoir de dire "non" devant des demandes non appropriées prises par des personnes qui n'ont pas le pouvoir de le faire sont aussi préoccupantes», affirme-t-elle.
La commissaire demande que la Loi d'accès à l'information soit modifiée pour qu'elle puisse à l'avenir porter des accusations criminelles contre un adjoint de ministre, ce qu'elle ne peut pas faire actuellement. Elle peut uniquement accuser les fonctionnaires. C'est pourquoi Mme Legault a demandé à la ministre Rona Ambrose de transférer le dossier à la GRC. Selon Suzanne Legault, M. Togneri mérite d'être poursuivi en justice.
Le ministère des Travaux publics affirme avoir changé sa méthode et ne plus demander la permission au cabinet du ministre pour traiter une demande d'accès à l'information.