Dépenses extravagantes pour un sénateur expulsé

Le sénateur Raymond Lavigne, suspendu du Sénat depuis août 2007 en raison des procédures judiciaires entamées contre lui, a continué de toucher son salaire annuel et de réclamer des remboursements de dépenses qui totalisent 315 000 $ depuis trois ans. De 2008 à 2010, le sénateur Lavigne a coûté 703 000 $ aux contribuables. Pourtant, M. Lavigne a fait peu d'engagements publics à titre de sénateur durant cette période, a appris Le Devoir.
La saga de l'ex-sénateur libéral, expulsé de son parti en 2006, puis du Sénat en 2007, pourrait d'ailleurs connaître son dénouement dans les prochains jours, peut-être même dès aujourd'hui, alors que le juge Robert Smith, de la Cour supérieure de l'Ontario, prévoit rendre son jugement.Le 14 août 2007, après une enquête de la GRC, le sénateur Lavigne a été accusé d'abus de confiance, d'entrave à la justice et d'avoir fraudé le Sénat pour un montant de 5000 $. Il a plaidé non coupable. Selon la Couronne, il aurait réclamé le remboursement de dépenses qu'il n'avait pas effectuées, alors que, dans d'autres cas, ses employés du Sénat — payés par les contribuables — auraient réalisé des travaux à sa résidence privée.
Ces accusations ont entraîné sa suspension du Sénat en août 2007, où il avait été nommé en mars 2002 par Jean Chrétien. Auparavant, Raymond Lavigne avait été député du Parti libéral du Canada dans Verdun-Saint-Henri-Saint-Paul-Pointe-Saint-Charles (maintenant Jeanne-Le Ber), dans le sud-ouest de Montréal, de 1993 à 2002. À titre de sénateur, il représente le secteur Montarville, qui correspond à la Rive-Sud de Montréal, notamment Longueuil.
Depuis sa suspension du Sénat, Raymond Lavigne ne peut participer aux travaux de la chambre haute plus d'une fois par année. En 2008, 2009 et 2010, il a donc participé au total à trois séances à Ottawa. Chaque fois qu'il a tenté de se présenter plus souvent, un autre sénateur a fait un appel au règlement pour le chasser de l'enceinte.
Un sénateur banni peut toutefois participer à des engagements publics dans le cadre de ses fonctions, notamment dans la région qu'il représente, ce que Raymond Lavigne déclare avoir fait, selon les informations obtenues par Le Devoir grâce au Registre des présences des sénateurs. Ce registre permet d'inscrire les journées où un sénateur dit avoir effectué un travail relié à ses fonctions, même en dehors du Parlement. Il faut toutefois se fier à la bonne foi du sénateur.
Dans ce registre, on constate qu'en 2008 Raymond Lavigne a déclaré 43 engagements publics, soit une moyenne de 3,6 par mois. La même année, il a réclamé des remboursements pour ses déplacements de 44 251 $. Les «autres frais», qui comprennent les factures de repas et le fonctionnement de son bureau, totalisent 34 203 $. Total: 78 454 $. En plus de son salaire de 125 800 $.
En 2009, il a inscrit 94 activités au registre, soit 7,8 par mois en moyenne. Ses remboursements de déplacements totalisent 47 248 $, alors que les «autres frais» atteignent 57 691 $, pour un total de 104 939 $. Il a touché un salaire de 130 400 $.
Pour les six premiers mois de 2010, ses 69 engagements représentent une moyenne de 11,5 activités par mois. Les déclarations pour les six derniers mois de l'année n'étaient pas disponibles hier.
Par contre, les remboursements réclamés par Raymond Lavigne pour toute l'année 2010 sont disponibles. Il a reçu des remboursements de déplacements de 43 959 $, alors que les «autres frais» bondissent à 88 003 $. Total: 131 962 $. Son salaire était de 132 300 $.
Malgré le peu d'activités liées à ses fonctions et le fait qu'il est interdit de présence au Sénat depuis plus de trois ans, Raymond Lavigne s'est fait rembourser des dépenses de 315 355 $ et un salaire de 388 500 $ entre 2008 et 2010, selon les documents des comptes publics. Un total de 703 855 $ sur trois ans, dont le réseau CBC a fait état hier (sans toutefois ventiler les chiffres en fonction des années).
Dépenses justifiées?
Raymond Lavigne n'a pas rappelé Le Devoir, ni répondu à nos courriels, de sorte qu'il a été impossible de savoir précisément à quoi font référence les «engagements publics» déclarés par le sénateur. Mais, dans son site Internet, il affirme ceci: «En plus d'assumer mes responsabilités à titre de sénateur, je travaille ardemment au mieux-être de la collectivité et, tout particulièrement, en ce qui concerne l'environnement. Mon rêve le plus cher serait la réalisation d'un train léger entre Montréal et la Rive-Sud.» On peut voir des photos du sénateur inaugurant un magasin d'alimentation IGA, participant au Festival du Canal Rideau ou encore assistant à la parade de la GRC à Ottawa. Des activités répertoriées dans la section «engagements publics» de son site.
Le député néo-démocrate Pat Martin affirme que ces dépenses «extravagantes» sont une «disgrâce» et que les contribuables devraient être en colère. «C'est une raison de plus pour abolir le Sénat! C'est une honte pour la démocratie et nos institutions», a-t-il dit au Devoir.
Pat Martin ne voit pas de problème à ce que Raymond Lavigne touche son salaire de sénateur en attendant la décision du tribunal, puisqu'il est «présumé innocent». «Mais ce n'est pas une raison pour qu'il continue à utiliser la carte de crédit du Sénat. Il est suspendu, alors il ne devrait pas avoir de dépenses à se faire rembourser», dit-il.
Francine Pressault, attachée de presse au Sénat, affirme que toutes les dépenses des sénateurs doivent être justifiées par un reçu ou une explication (dans le cas du kilométrage, par exemple). Elle ne peut toutefois se prononcer sur chacun des remboursements, puisque ceux-ci ne sont pas rendus publics. D'ailleurs, la Vérificatrice générale du Canada, Sheila Fraser, n'a pas accès aux dépenses des sénateurs, qui ont refusé d'être soumis à un examen annuel de leurs dépenses.
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Avec la collaboration de Monique Bhérer