Ingérence systématique au bureau de Paradis

L'ingérence politique illégale dans la Loi sur l'accès à l'information était systématique au bureau du ministre conservateur Christian Paradis, contrairement à ce qu'il a déclaré l'hiver dernier. Coincé, le directeur des affaires parlementaires de M. Paradis, Sébastien Togneri, a dû démissionner hier. Les partis d'opposition réclament maintenant la tête du ministre.
Le bureau du ministre Paradis a violé la Loi sur l'accès à l'information à au moins quatre reprises, notamment en bloquant la divulgation de documents ou en censurant abusivement certains passages. À au moins une occasion, M. Togneri a retenu de l'information qui aurait pu embarrasser politiquement le ministre Paradis dans sa circonscription de Mégantic-L'Érable, puisque les documents touchaient l'amiante, une industrie très présente dans cette région.En février dernier, Le Devoir a révélé que trois ministres du gouvernement Harper font l'objet d'une enquête prioritaire de la commissaire à l'information du Canada, Suzanne Legault, parce que leurs employés politiques sont soupçonnés d'avoir enfreint les règles en s'ingérant dans le travail des fonctionnaires afin de bloquer ou de censurer des documents jugés politiquement délicats. Les enquêtes sont toujours en cours.
Il est très rare que le Commissariat à l'information lance ce type d'enquête prioritaire, réservé aux dossiers «qui peuvent avoir des répercussions appréciables pour les Canadiens», comme l'indique l'organisme indépendant.
Christian Paradis, lieutenant de Stephen Harper au Québec, est l'un des ministres visés par les enquêtes de la commissaire (le nom des deux autres n'a pas été rendu public). En juillet 2009, l'un de ses employés, Sébastien Togneri, a empêché qu'un document soit envoyé à un journaliste de la Presse canadienne, et ce, même si les fonctionnaires jugeaient le tout conforme à la loi. Après des jours de pression, les fonctionnaires ont finalement plié et envoyé un document lourdement censuré au journaliste.
La Loi d'accès à l'information, qui permet aux journalistes et aux citoyens de recevoir des documents du gouvernement, est gérée par les fonctionnaires selon des critères précis. Le bureau d'un ministre est prévenu lorsqu'un document est envoyé, mais il n'a pas un droit de veto sur sa diffusion.
Devant un comité parlementaire le printemps dernier, Sébastien Togneri a dit avoir fait une «erreur de jugement» en juillet 2009. Il a soutenu qu'il s'agissait d'un «cas isolé», une formule reprise par le ministre Paradis, qui l'a d'ailleurs gardé en poste malgré la controverse.
Or la Presse canadienne a révélé tard jeudi soir que M. Togneri s'est immiscé à au moins trois autres reprises dans le travail des fonctionnaires pour censurer ou empêcher la divulgation de documents. L'une des interventions concerne la visite de Barack Obama au Canada, alors qu'une autre concerne l'amiante, une industrie très présente dans la circonscription du ministre Paradis.
En fait, un véritable système pour filtrer les demandes d'accès à l'information était en place. Les documents «dignes d'intérêt» étaient envoyés au bureau du ministre dans une chemise mauve pour que M. Togneri décide si l'information devait être rendue publique.
Confronté par le ministre jeudi soir, M. Togneri a reconnu les faits et a offert sa démission, qui a été acceptée par le ministre. M. Paradis, dit-on, était à la fois «en furie» et «triste» de la tournure des événements.
La tête du ministre réclamée
Les conservateurs refusent depuis plusieurs mois que leurs employés politiques témoignent devant les comités parlementaires sous prétexte que le concept de responsabilité ministérielle s'applique. Ainsi, les ministres sont responsables des agissements de toute l'équipe et sont donc les seuls à pouvoir comparaître, disent-ils.
Les trois partis d'opposition aux Communes ont suivi cette logique hier pour demander la démission du ministre Paradis. «Maintenant qu'il est reconnu qu'il y a au moins quatre violations de la Loi d'accès à l'information, on pense que le ministre doit aussi démissionner puisqu'il est responsable de ces violations-là. C'est ça, la responsabilité ministérielle», a dit Pierre Paquette, du Bloc québécois.
Selon le député libéral Marcel Proulx, «étouffer des demandes d'accès à l'information, c'est potentiellement criminel». «Le ministre ne peut pas prétendre qu'il n'était pas au courant», dit-il.
Christian Paradis n'a pas l'intention de démissionner. Aux Communes, il a dit avoir prévenu la commissaire à l'information des derniers rebondissements.
En février, le chef de cabinet de Stephen Harper, Guy Giorno, a envoyé une note interne à tous les bureaux de ministre pour que le personnel politique cesse de se mêler de l'application de la Loi d'accès à l'information, qui relève des fonctionnaires.
La députée libérale Marlene Jennings affirme qu'il est «tout à fait plausible et raisonnable de croire que cette pratique est systémique» au sein du gouvernement Harper. «Depuis que les conservateurs sont arrivés au pouvoir, les délais pour traiter les demandes d'accès à l'information ont doublé, triplé et même quadruplé dans certains cas», dit-elle.
En avril, la commissaire à l'information, Suzanne Legault, a lancé une large enquête systémique sur les délais de réponse du gouvernement, qui contreviennent souvent à la Loi sur l'accès à l'information. L'empreinte des bureaux de ministre et notamment du Conseil privé, le ministère du premier ministre, pourrait jouer un rôle dans cette lenteur.