Recensement - Le Canada exclu des bases de données internationales

Ottawa — La décision du gouvernement conservateur de rendre volontaire le prochain recensement a une conséquence catastrophique pour les chercheurs du monde entier, ceux du pays en particulier. Le Canada sera désormais exclu d'une des plus importantes bases de données internationales permettant les comparaisons démographiques entre États, a appris Le Devoir.

Les données du recensement de 2011 ne pourront en effet pas figurer dans l'«Integrated Public Use Microdata Series International», ou IPUMS-International. IPUMS est une base de données démographiques colligée par le Population Center de l'Université du Minnesota. Les données de recensement de plus de 55 pays, de 1960 à aujourd'hui, s'y retrouvent. Le travail de l'IPUMS consiste à harmoniser les résultats de manière à les rendre comparables. Les pays d'Amérique, d'Europe, quelques-uns d'Afrique ainsi que la Chine et l'Inde en font partie.

Les données des recensements canadiens de 1971, 1981, 1991 et 2001 y figurent, mais celles de 2011 en seront exclues, a récemment averti le responsable d'IPUMS, Robert McCaa. «Les données d'un recensement volontaire seraient inacceptables en vue de leur inclusion dans la base de données IPUMS-International. Nous avons déjà éliminé un certain nombre de données de recensement du projet précisément parce que, malgré leur caractère officiel, elles ne satisfaisaient pas aux critères de qualité. Nous n'avons jamais inclus des données tirées d'un échantillon volontaire et nous ne nous attendions pas à en voir non plus.»

Selon Richard Marcoux, directeur de l'Observatoire démographique et statistique de l'espace francophone, l'IPUMS «c'est LA référence incontournable». «Il en existe beaucoup, mais c'est LE réseau de référence dans le monde», assure-t-il. Ce professeur de l'Université Laval y a lui-même recours constamment pour ses recherches. «Si je veux faire une recherche sur le taux de familles monoparentales au Canada par rapport à la Suède ou l'Australie, c'est à travers l'IPUMS que je peux le faire», explique-t-il.

Lisa Dillon, professeure de démographie à l'Université de Montréal, estime elle aussi que le retrait du Canada de la base de données est «exceptionnel» et très dommageable. Disposer de données harmonisées d'un pays à l'autre permet, par exemple, de comparer les salaires pour un métier donné à travers le monde.

«Ça nous permet aussi de mesurer l'écart salarial entre les femmes et les hommes et de voir s'il est plus ou moins grand d'un pays à l'autre, illustre-t-elle. Ça permet ainsi de voir la situation des femmes aux États-Unis et de la comparer à celle en Chine ou en Grande-Bretagne.» Ensuite, d'autres catégories de chercheurs peuvent essayer de comprendre les raisons de ces variations d'écart et déterminer si certaines initiatives locales ont été plus efficaces que d'autres pour les réduire.

Selon Robert McCaa, «l'absence d'un échantillon scientifique pour le formulaire long du recensement canadien de 2011 serait doublement malheureux parce que les chercheurs canadiens sont les cinquièmes plus grands utilisateurs d'IPUMS-International et que les données canadiennes figurent au 10e rang des plus utilisées par les chercheurs, avec 1614 utilisations, surpassant ainsi la Grande-Bretagne et l'Espagne».

Pas intrusif du tout

Le gouvernement conservateur a annoncé en catimini en juin dernier que le formulaire long du recensement de 2011 ne serait plus obligatoire. Il sera désormais envoyé à un plus grand nombre de gens (environ 33 % de la population canadienne, contre 20 % auparavant), qui seront libres d'y répondre ou pas. Toute la communauté scientifique a dénoncé cette situation, prévenant que les résultats ne seraient plus aussi fiables. Les ministres conservateurs ont justifié leur décision par le fait que certaines questions étaient «intrusives», notamment celle sur le nombre de chambres à coucher que compte la maison.

Il n'en est rien, selon Lisa Dillon. Des 55 pays dont les questions de recensement sont incluses dans l'IPUMS, une vingtaine posent une telle question. «Cette question est tout à fait typique. Elle permet d'avoir une idée du standard de vie des gens. En recoupant cette information avec le nombre d'enfants d'un foyer donné, on peut évaluer le nombre d'enfants vivant dans la même chambre et ainsi déduire les conditions de l'enfance», explique-t-elle.

Les changements apportés au recensement ont provoqué une commotion au cours de l'été, mais depuis quelques semaines, le sujet semble ne plus susciter autant d'intérêt dans les médias. Selon Richard Marcoux, c'est parce que le gouvernement a indiqué qu'il était trop tard pour faire marche arrière, l'impression des formulaires ayant débuté. Il n'en croit rien.

«Moi, j'ai travaillé au recensement du Mali, qui devait avoir lieu en avril 2009. C'est un pays de 15 millions d'habitants et les formulaires ont été envoyés à l'impression... le 1er mars 2009! Un mois d'avance. Le Mali se classe au 174e rang selon l'indice de développement humain. Le Canada, au 4e rang. Toutes les imprimeries du Mali ont sûrement été réquisitionnées pour cette impression, mais si le Mali est capable de le faire, le Canada l'est sûrement aussi. Dire que c'est trop tard, c'est de la foutaise pour faire cesser le débat.»

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