Recensement: Nature sermonne Ottawa

La prestigieuse revue scientifique américaine Nature publie, dans son numéro d'aujourd'hui, un article très dur qui reproche au gouvernement canadien sa décision de mettre fin au formulaire long obligatoire du recensement.

Le texte d'opinion est signé par Kenneth Prewitt, professeur à l'Université Columbia et ancien directeur du Census Bureau des États-Unis, ainsi que par Stephen E. Fienberg, du Département de statistiques de l'Université Carnegie Mellon.

Citant l'exemple de la Grande-Bretagne, qui mettra fin à son recensement en 2011, ainsi que des pays scandinaves qui ont remplacé le recensement long par un recoupement des bases de données de différents ministères (une pratique interdite au Canada pour protéger la vie privée des citoyens), les deux spécialistes affirment que les gouvernements font un choix à courte vue en mettant fin à leur recensement.

«L'exercice du recensement subit un assaut à travers le monde en raison des inquiétudes concernant la vie privée, les coûts et les taux de réponse. Mais les scientifiques et les décideurs politiques comprennent mal ce qui est en jeu en mettant fin au recensement, jusqu'à ce qu'il soit trop tard pour réparer les dommages de ces décisions à courte vue», écrivent les deux experts.

Visant directement le Canada, qui a annoncé en juin qu'il remplacerait le formulaire long obligatoire par un formulaire volontaire, MM. Prewitt et Fienberg affirment: «Cette décision va diminuer la qualité et faire augmenter les coûts pour obtenir de l'information concernant presque tous les enjeux auxquels fera face le gouvernement du Canada.»

Les spécialistes déclarent que les données tirées du recensement tous les cinq ans servent de base à une multitude de recherches qui permettent ensuite de mieux cerner l'évolution d'une société et ainsi de faire des choix éclairés. «Les statistiques du gouvernement ne sont pas moins vitales à l'infrastructure scientifique d'une nation qu'un observatoire ou un accélérateur de particules et ont donc besoin de protection et d'un financement stable», peut-on lire dans ce texte intitulé «Save your census».

Les deux auteurs affirment que les pays qui ont laissé tomber leur recensement obligatoire pour le remplacer par un recoupement de différentes bases de données se rendent maintenant compte que plusieurs informations ne sont pas à jour, alors que d'autres données, auparavant disponibles, n'existent plus.

L'argument de l'intrusion dans la vie privée des gens, souvent utilisé par les commentateurs de droite (et par le gouvernement canadien) pour justifier la fin des recensements, ne tient pas la route, selon les chercheurs. «La réalité est que personne dans un gouvernement n'est plus zélé quant à l'importance de la vie privée que les statisticiens des bureaux de recensement», écrivent-ils.

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