L'ombudsman des vétérans part en guerre contre Ottawa

L’ombudsman des vétérans, l’ancien colonel Patrick Stogran, est d’avis qu’Ottawa manque de respect envers les ex-soldats qui ont été blessés au combat ou qui sont malades.
Photo: Agence Reuters Blair Gable L’ombudsman des vétérans, l’ancien colonel Patrick Stogran, est d’avis qu’Ottawa manque de respect envers les ex-soldats qui ont été blessés au combat ou qui sont malades.

Ottawa — La guerre est déclarée entre l'ombudsman des vétérans et le gouvernement Harper. Entouré d'anciens combattants, Patrick Stogran a vivement dénoncé hier le sort réservé aux soldats blessés et retraités. Et ce n'était qu'une première salve: M. Stogran a promis d'utiliser les trois derniers mois de son mandat pour faire entendre raison à Ottawa.

Ouvertement en «colère», M. Stogran a mis à mal hier l'image d'un gouvernement qui revendique quotidiennement son soutien aux «hommes et aux femmes en uniforme». «Je ne peux m'expliquer comment le gouvernement a pu, en toute connaissance de cause, priver nos vétérans des programmes et services reconnus depuis longtemps comme une obligation à leur égard», a-t-il dit.

L'ombudsman a laissé entendre que la fin de son mandat serait bruyante. «Je promets de faire tout mon possible pour faire savoir aux Canadiens à quel point un si grand nombre [de vétérans] sont mal servis», a lancé l'ancien colonel, qui a été commandant de la force terrestre en Afghanistan. Le «gouvernement doit mettre fin à ces pratiques injustes», estime M. Stogran.

Ce dernier a appris cette fin de semaine par la bouche du ministre des Anciens Combattants, Jean-Pierre Blackburn, que son mandat de trois ans ne sera pas renouvelé. Un nouvel ombudsman entrera donc en fonction en novembre pour diriger ce bureau mis sur pied par les conservateurs en 2007.

Or, Pat Stogran ne voulait pas partir. Son bureau vient à peine de trouver sa vitesse de croisière, a-t-il dit, et «il ne fait aucun doute que le remplacement de l'ombudsman à ce moment occasionnera un contretemps de plusieurs mois dans les travaux». Trois ans représentent selon lui une période «bien peu longue» pour accomplir le mandat confié, surtout qu'il partait de zéro.

L'ombudsman a laissé entendre hier que ses critiques récurrentes contre la bureaucratie canadienne et le gouvernement ont empêché qu'il soit reconduit à son poste. «Même si le gouvernement a fait la promotion de l'ombudsman en tant qu'intervenant indépendant, il est clair selon moi qu'il s'attendait plutôt à ce qu'il soit un gestionnaire de plaintes qui relève du ministère», a-t-il avancé.

Lundi et hier, les libéraux et les néodémocrates ont dénoncé la décision d'Ottawa de ne pas garder M. Stogran à son poste. «Il a agi dans l'intérêt des femmes et des hommes en uniforme et s'est opposé au gouvernement quand c'était nécessaire, a fait valoir le porte-parole du NPD pour les anciens combattants, Peter Stoffer. Il ne devrait pas être puni pour cela.»

Mais pour le ministre Blackburn, la décision est à la fois saine et prudente. «C'est un travail difficile qui demande au titulaire de prendre la parole pour défendre ceux qu'il représente, a indiqué M. Blackburn en entretien téléphonique. Cette indépendance [par rapport au gouvernement] est extrêmement précieuse. Comme c'est un mandat de trois ans, c'est important que quelqu'un qui a fait ce travail, qui a émis des commentaires, puisse passer le flambeau à quelqu'un d'autre.»

Selon M. Blackburn, l'indépendance de l'ombudsman serait moindre s'il restait en poste plus longtemps. «Il pourrait se dire: "Je ne dirai pas ce que je pense, ni ce que je vois, parce que je veux être renommé"», croit le ministre.

M. Stogran n'est pas le premier chien de garde critique dont le mandat n'est pas renouvelé par le gouvernement Harper: les cas de Peter Tinsley (Commission des plaintes concernant la police militaire) et Linda Keen (Commission de sûreté nucléaire) font aussi partie de la liste.

Changements

Les griefs exprimés hier par les vétérans présents sont multiples, mais ils concernent tous l'assistance financière accordée aux ex-soldats blessés et malades. Luttant contre la réduction des prestations d'invalidité de longue durée, Dennis Manuge s'est par exemple dit «malade mentalement, émotionnellement, spirituellement et physiquement», brisé par les combats et le poids de cette cause (qui est devant la Cour suprême).

La nouvelle Charte des anciens combattants, qui a introduit en 2006 le principe d'un paiement forfaitaire maximum de 276 080 $ en cas de blessure grave, a aussi subi les foudres des vétérans présents. L'impression générale est qu'Ottawa cherche à économiser de l'argent.

Mais peu importe le détail des situations particulières, le problème de fond est le même, dit Pat Stogran: le blocage des bureaucrates en ce qui concerne les efforts pour améliorer le sort des vétérans. «Les sacrifices [faits par les soldats] semblent s'être perdus dans la complexité de la bureaucratie», remarque M. Stogran.

«Ça fait deux ans et demi que j'essaie d'établir des liens avec le ministère. Je me suis aperçu il y a trois mois qu'on m'a mené en bateau», ajoute-t-il. Informations non transmises, refus de demander des fonds au Conseil du Trésor, délais interminables, M. Stogran a énuméré une longue liste de plaintes dirigées contre les hauts fonctionnaires du ministère.

Le manque de respect avec lequel seraient traités les vétérans fait dire à M. Stogran qu'il serait aujourd'hui incapable de convaincre un jeune de se joindre aux Forces canadiennes.

Jean-Pierre Blackburn se dit conscient de certains problèmes: les délais de traitement des dossiers sont beaucoup trop longs, reconnaît-il. La Charte des anciens combattants est aussi en cours de révision, parce que le paiement forfaitaire ne convient pas à tous.

Mais M. Blackburn plaide la bonne foi. «Notre ministère a vieilli au rythme de ses anciens combattants. Nous ne nous sommes pas modernisés, et nous ne sommes pas prêts à accueillir la nouvelle génération qui sera de retour d'Afghanistan. Il faut prendre le virage [...] et nous sommes en mode action actuellement.»

Le député libéral Marc Garneau estime toutefois que le gouvernement Harper s'en tient dans ce dossier «à de belles paroles qui ne sont pas mises en pratique. Nos soldats font des sacrifices immenses: ils doivent être indemnisés quand ils reviennent affectés. Le message qu'on comprend aujourd'hui, c'est que le gouvernement les laisse plutôt tomber à leur retour».

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