Avions de chasse: l'armée a fait son choix

Les Forces canadiennes veulent acquérir le F-35 Joint Strike Fighter, de la multinationale américaine Lockheed Martin. L’entreprise serait prête à garantir au Canada un prix tout juste sous les 100 millions de dollars l’unité. L’avion, qui n’est pas encore en production, sera doté des dernières technologies et sera furtif (difficile à détecter par les radars).
Photo: Lockheed Martin Les Forces canadiennes veulent acquérir le F-35 Joint Strike Fighter, de la multinationale américaine Lockheed Martin. L’entreprise serait prête à garantir au Canada un prix tout juste sous les 100 millions de dollars l’unité. L’avion, qui n’est pas encore en production, sera doté des dernières technologies et sera furtif (difficile à détecter par les radars).

Le dossier du remplacement des avions de chasse CF-18 bouge plus rapidement que prévu. Selon les informations obtenues par Le Devoir, les Forces canadiennes recommandent au gouvernement d'acheter le F-35 Joint Strike Fighter de la multinationale américaine Lockheed Martin. L'appel d'offres serait rédigé de manière à ce que les autres manufacturiers puissent difficilement se qualifier.

Dans le milieu de la défense, c'est la surprise. L'achat des nouveaux avions de chasse canadiens ne devait pas aboutir avant 2013, puisque l'armée de l'air souhaite recevoir les chasseurs en 2017. Généralement, le gouvernement signe un contrat trois ou quatre ans avant de recevoir les appareils.

Le comité du cabinet chargé de la croissance économique devrait aborder le sujet dès mercredi. Si tout va bien, le puissant comité des plans et priorités du cabinet, dirigé par le premier ministre, serait saisi du dossier la semaine prochaine. Le cabinet pourrait ainsi prendre une décision avant les vacances estivales et une annonce pourrait être faite dès cet été, selon nos sources.

Les Forces canadiennes ont actuellement 80 chasseurs CF-18. Ces avions terminent une mise à niveau de 2,6 milliards de dollars qui leur permettra d'étirer leur vie utile jusqu'en 2017. Pour les remplacer, les Forces canadiennes souhaitent acheter 65 appareils. Renouveler la flotte des avions de combat sera l'une des plus importantes dépenses militaires des prochaines années, puisque la facture devrait osciller entre quatre et six milliards de dollars (avant les frais d'entretien).

Le document qui sera soumis par l'armée au gouvernement cette semaine contient une recommandation, soit celle de procéder avec un préavis d'adjudication de contrat (PAC). Ce processus montre que le gouvernement a l'intention de passer un contrat avec un fournisseur particulier. Dans ce cas-ci, il s'agit de Lockheed Martin et de son avion F-35 Joint Strike Fighter.

D'autres entreprises ont alors quelques semaines pour signifier leur intérêt et prouver qu'ils peuvent également répondre aux critères de sélection, ce qui est très rare, puisque le gouvernement moule ses critères selon un appareil spécifique.

Le gouvernement Harper a déjà procédé ainsi pour l'achat des avions de transport C-130J (Lockheed Martin) et des hélicoptères Chinook (Boeing). Le PAC permet d'accélérer l'achat des appareils. Les ministres conservateurs ont souvent affirmé que ce processus est «ouvert, compétitif et transparent». Or, en 2007, la vérificatrice générale, Sheila Fraser, avait soutenu le contraire, affirmant qu'il s'agit en fait de contrats sans appel d'offres maquillés. «Je ne considère pas le PAC comme étant un processus compétitif», avait-elle dit.

Lockheed Martin favori

Au bureau du ministre de la Défense, Peter MacKay, on a refusé de commenter hier. «Je ne discute pas des dossiers soumis au cabinet», a affirmé Dan Dugas, le directeur des communications de Peter MacKay.

Selon nos informations, le gouvernement accélère le pas dans ce dossier pour deux raisons. D'abord, Lockheed Martin est prêt à garantir un prix fixe pour chaque appareil qui sera acquis entre 2013 et 2017. Tous les dépassements de coûts seraient à la charge de la multinationale américaine. Une promesse alléchante pour Ottawa, puisque le F-35 est dans sa phase finale de développement, qui a connu des ratés. Des rapports du ministère américain de la défense affirment que l'avion pourrait coûter plus de 120 millions de dollars l'unité une fois la production commencée. Or, Lockheed Martin serait prêt à garantir au Canada un prix — gardé secret pour l'instant — tout juste sous les 100 millions l'unité. Pour 65 chasseurs, on parle d'une facture de près de six milliards pour le gouvernement canadien.

Ensuite, si Ottawa signifie rapidement son intérêt d'acheter des F-35, Lockheed Martin pourrait permettre à davantage d'entreprises canadiennes de participer à la chaîne de montage de l'appareil, dont la production en série doit débuter en 2012. C'est d'ailleurs avec cette possibilité en tête que les Forces canadiennes soumettent le dossier cette semaine au comité du cabinet chargé de la croissance économique, et non pas celui chargé de la sécurité et de la défense, qui aurait été le chemin naturel.

Le Canada est un partenaire économique du F-35 depuis 1997, en collaboration avec d'autres pays (États-Unis, Grande-Bretagne, Australie, etc.). Ottawa a promis d'injecter 710 millions de dollars dans le projet sur une période de 40 ans afin de permettre aux entreprises canadiennes d'obtenir des contrats dans le développement de cette nouvelle génération d'avions. Jusqu'à présent, 80 compagnies ont obtenu des contrats totalisant 325 millions de dollars.

Le 27 mai dernier, en comité parlementaire, le ministre Peter MacKay a fait plusieurs lapsus qui laissaient croire que le choix du gouvernement est fait. «Le programme Joint Strike Fighter, dans lequel le Canada a déjà consenti des investissements appréciables, verra la prochaine génération de capacité de combat. Le Canada participera à ce programme et se procurera un appareil dont la capacité sera supérieure à la capacité actuelle. C'est un appareil magnifique», avait-il dit, avant d'ajouter: «Cet avion de combat fera l'objet d'un processus ouvert, compétitif et transparent.»

Le budget total de mise au point du F-35 (assumé en grande partie par les États-Unis) est de 280 milliards de dollars. L'avion sera doté des dernières technologies et sera furtif (difficile à détecter par les radars). Les États-Unis prévoient en acheter plus de 3000, notamment pour remplacer les F-16.

Des concurrents en lice

Lockheed Martin n'est toutefois pas seule dans la course. Le plus sérieux concurrent est Boeing et son nouveau F-18 Super Hornet (États-Unis), en production depuis 1999. Boeing estime que le prix unitaire de l'appareil pour le Canada oscillerait entre 55 et 70 millions de dollars. Pour obtenir 65 chasseurs, il en coûterait donc environ quatre milliards.

L'européenne EADS et son Eurofighter Typhoon est aussi sur les rangs, tout comme la suédoise SAAB et son Gripen. L'un de ces trois manufacturiers, dont le nom n'est pas dévoilé pour le moment, promettrait d'assembler les avions au Canada, ce qui serait un argument économique de taille, a-t-on appris.

Les Forces canadiennes estiment qu'en 2014 aucun autre avion ne sera comparable au F-35 sur le marché, d'où l'intérêt d'un PAC pour accélérer le processus. Les militaires estiment que le Typhoon sera trop cher (il est à plus de 120 millions de dollars l'unité) et que Boeing ne produira plus son Super Hornet, car l'entreprise prévoit que son carnet de commandes sera vide en 2014. Si la chaîne de montage est fermée, inutile de le considérer, explique une source militaire. Mais chez Boeing, on s'inscrit en faux. Dès aujourd'hui, une lettre sera envoyée au gouvernement canadien pour garantir une capacité de livraison après 2014, puisque d'autres commandes devraient s'ajouter dans les prochains mois.

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