GES: Ottawa se désengage

Le gouvernement Harper a réduit de 10 fois son objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) pour l'année 2010, le faisant passer de 57 millions à 5 millions de tonnes (Mt).

Quant à sa cible pour 2012, dernière année pour atteindre les objectifs du protocole de Kyoto, elle a aussi fondu de 72 à 10 millions de tonnes, soit une réduction de sept fois.

C'est ce qui ressort du Plan de mise en application du protocole de Kyoto, dévoilé hier sur Internet sans le moindre communiqué de presse pour le souligner. Le dépôt de ce plan fait partie des quelques obligations du protocole que le Canada déclare vouloir respecter, soit celle de produire un bilan annuel d'émissions et son plan ajusté de lutte contre les changements climatiques, ainsi que son obligation de tenir un registre des réductions réalisées par ses partenaires privés et publics.

La liste des obligations qu'Ottawa entend respecter n'inclut pas, de toute évidence, la réduction des émissions nationales à 6 % sous le niveau de 1990, une obligation entérinée par le Parlement par la loi de ratification du protocole en décembre 2004.

Et le bilan prospectif de la réduction des émissions pour la période 2008-2012 en donne une preuve éloquente. Le Canada prévoit en effet dépasser en 2012 de 809 millions de tonnes le maximum cumulatif de 2,7 milliards de tonnes autorisé en cinq ans par le protocole. Fin décembre 2012, le Canada, selon les dernières prévisions fédérales, dépassera de 34,9 % l'objectif légal du protocole.

Si le fédéral devait acheter des crédits pour respecter cet objectif à 35 $ la tonne d'émissions — ce qu'aucun indice ne permet d'envisager —, le Canada devrait débourser 28,3 milliards au début de 2013 pour respecter ses engagements. Aucune provision pour une dette de cette envergure n'apparaît dans le bilan comptable du pays, et la vérificatrice générale n'a pas exigé jusqu'ici l'inscription de cette dette légale dans le bilan financier du Canada à des fins de transparence, comme d'autres pays ont commencé à le faire ainsi que des entreprises privées.

Selon un spécialiste de l'Institut Pembina d'Ottawa, Matthew Bramley, si le Canada a réduit de 10 fois son objectif pour l'année en cours, c'est parce qu'il a mis de côté l'engagement de son plan d'action de 2007, Prendre le virage, qui prévoyait imposer cette année des réductions aux grands émetteurs de GES, comme les raffineurs de pétrole et de métaux ainsi que les propriétaires de centrales thermiques.

Le gouvernement avait alors pris l'engagement d'obtenir ses premières réductions fermes «aussi tôt qu'en 2010 et pas plus tard qu'en 2012».

«Après six ans de pouvoir conservateur, il est évident que les conservateurs n'envisagent même pas de politiques susceptibles de réduire vraiment les émissions canadiennes, ce qui est proprement scandaleux au regard des appels urgents de passer à l'action que lancent les plus éminents scientifiques», commente Matthew Bramley.

Mais les conservateurs se concentrent désormais sur une cible plus lointaine, celle de 2020, qu'ils ont d'ailleurs réduite en s'alignant sur les États-Unis récemment.

Selon le plan de réduction de court terme dévoilé hier, les émissions canadiennes passeront de 734 Mt en 2008 à 701 en 2009, essentiellement en raison de la récession, puis devraient remonter à 718 Mt en 2010, puis à 720 Mt et à 728 Mt en 2012. Les milliards investis par Ottawa dans différents programmes auront contribué à abaisser ces bilans annuels respectivement de 3,5, de 8 et de 10 Mt seulement entre 2009 et 2012.

Le gouvernement Harper a d'ailleurs lui-même ramené à des niveaux plus modestes l'efficacité escomptée de ses programmes après les commentaires du commissaire à l'environnement du Canada. Le plus important de ces programmes est le Fonds en fiducie pour la qualité de l'air et les changements climatiques, dans lequel Ottawa a investi 1,5 milliard.

Dans son plan de l'an dernier, Ottawa escomptait une réduction de 16 Mt. Mais selon la version d'hier, ce plan réduira le bilan canadien de seulement 340 000 tonnes à court terme et de 3 Mt d'ici 2015.

Le gouvernement affiche des gains tout aussi modestes en ce qui concerne le Fonds pour les énergies propres (800 millions en cinq ans) et le Fonds pour les infrastructures vertes (1 milliard en cinq ans). Selon le document dévoilé hier, ces investissements «ne devraient pas susciter de réductions quantifiables d'ici 2012».

Frédéric Baril, l'attaché de presse du ministre canadien de l'Environnement, Jim Prentice, reconnaît «qu'il y a encore du travail à faire».

Dans les six derniers mois, dit-il, le gouvernement a annoncé de nouvelles politiques de réductions qui vont toucher, par exemple, le parc automobile canadien. Cela traduit la volonté du gouvernement conservateur, à son avis, d'atteindre les objectifs nationaux et les engagements contenus pour 2020 dans l'entente de Copenhague, qui n'a aucune valeur légale.

Le plan de réduction des émissions du parc automobile canadien doit en principe réduire les émissions moyennes de chaque voiture de 25 % en 2016. Mais comme ce parc augmente sans cesse, les réductions nettes pour 2010, 2011 et 2012 seront aussi modestes que 0,2; 0,8 et 1,5 Mt respectivement. Elles devraient atteindre une réduction cumulative croissante de 19 Mt en 2016.

À voir en vidéo