Ottawa est poursuivi pour six millions de dollars

Ottawa fait l'objet d'une poursuite de six millions de dollars d'un citoyen canadien, Régent Boily, extradé au Mexique en 2007 malgré les risques qu'il courait d'être torturé.
La poursuite a été déposée en Cour fédérale par l'avocat de Boily, Philippe Larochelle, qui se dit consterné par la conduite du Canada dans cette affaire. Son client dit avoir été torturé et battu dès son retour dans les geôles du Mexique, dont il s'était évadé dans des circonstances tragiques en 1999.
La requête reproche également à l'ex-ministre des Affaires étrangères, Peter MacKay, sa «négligence» pour avoir omis de mettre en place un mécanisme de surveillance de l'extradition de Boily. À preuve, les fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères au Canada et au Mexique ignoraient «à peu près tout» du dossier de Boily lors de son retour au Mexique, affirme la poursuite.
C'est seulement cinq jours après son extradition qu'ils ont pris des mesures pour atténuer les risques de mauvais traitements, poursuit ce document qui ne constitue pas un élément de preuve.
Mais il était déjà trop tard. Coups à la tête, bousculades, interrogatoires musclés, menaces de mort, noyade simulée, injection de sauce piquante dans les narines: Boily dit avoir passé de durs moments aux mains des gardiens de prison.
Eau gazeuse et sauce chili
Régent Boily était un homme sans histoire jusqu'à ce qu'il soit arrêté en possession de 580 kilos de marijuana, le 9 mars 1998, dans l'État du Zacatecas, au coeur du Mexique. Lors de sa détention, les policiers l'auraient battu au point de lui faire perdre connaissance. Ils lui auraient mis un sac de plastique sur la tête et lui auraient injecté de l'eau gazeuse et de la sauce chili dans les narines pour l'empêcher de respirer.
Condamné à 14 ans de pénitencier à l'issue de son procès, Boily a aggravé son cas en s'évadant, un an jour pour jour après son arrestation. Un gardien de prison a été tué dans des circonstances nébuleuses, par des individus responsables de sa fuite. Boily a quand même réussi à gagner le Québec, où il a vécu pendant six ans avant d'être repéré par les autorités.
Le Mexique a finalement exigé son extradition, le 27 avril 2005, afin de le juger pour homicide involontaire et évasion d'une garde légale. Devant les tribunaux canadiens, Boily a fait valoir qu'il avait été torturé et qu'il y avait «une probabilité marquée» qu'il le soit à nouveau s'il était extradé. La Cour d'appel a d'ailleurs jugé l'allégation vraisemblable, bien qu'elle ait validé l'extradition.
À l'époque, le Mexique éprouvait des problèmes à réprimer la torture sur son territoire. Dans un rapport de 2004 du Comité des Nations unies contre la torture, le gouvernement mexicain a avoué l'existence d'une «dichotomie marquée» entre l'arsenal juridique et administratif mis en place pour mettre fin à la torture et les faits et gestes des forces de l'ordre sur le terrain. «[...] malgré les instruments internationaux que notre pays a signés et les mesures législatives et administratives qu'il a adoptées pour éradiquer la torture, celle-ci est toujours pratiquée au Mexique», affirme le rapport.
Le ministre de la Justice de l'époque, Vic Toews, était conscient de l'implication des forces de l'ordre mexicaines dans les violations des droits de la personne, mais il s'est satisfait des assurances diplomatiques fournies par le Mexique. M. Toews a passé outre une requête du Comité des Nations unies contre la torture, qui demandait au Canada de surseoir à l'extradition de Boily.
Depuis l'arrêt Suresh, rendu en 2002 par la Cour suprême, le Canada ne peut plus expulser des citoyens ou des réfugiés vers des pays où il y a un risque de torture, sauf dans des circonstances exceptionnelles. Selon Philippe Larochelle, le Canada a fait preuve d'acharnement pour se débarrasser de Boily.
L'homme de 66 ans croupit toujours dans les prisons du Mexique, où il purge une peine de 40 à 60 ans pour l'homicide involontaire du gardien de prison.