Droits et Démocratie en crise - Dirigeants et employés réclament la démission du président du conseil
Le décès du président de Droits et Démocratie, Rémy Beauregard, et le virage que veut imposer le gouvernement Harper à cet organisme fédéral ont provoqué une importante grogne à l'interne. Au point que la direction et les employés de Droits et Démocratie demandent la démission du président du conseil d'administration, Aurel Braun, et de deux autres membres, a appris Le Devoir.
La direction et les employés de Droits et Démocratie se sont réunis hier après-midi à Montréal et ont décidé, d'un commun accord, de rédiger une lettre pour exiger la démission du président du conseil d'administration de l'organisme fédéral, Aurel Braun. Le départ de deux autres membres du conseil d'administration, Elliott Tepper et Jacques P. Gauthier, est également demandé. La lettre sera envoyée aux principaux intéressés, mais aussi au premier ministre Stephen Harper et au ministre des Affaires étrangères, Lawrence Cannon.Les employés de cet organisme qui oeuvre dans le développement international estiment que les agissements de ces trois personnes dans les derniers mois sont «inadmissibles». «On ne veut plus travailler pour eux. Il y a du harcèlement psychologique et de l'intimidation de leur part», a affirmé une source chez Droits et Démocratie qui a demandé à garder l'anonymat étant donné les tensions actuelles.
Le fait que Le Devoir ait été mis au courant de la naissance de cette lettre a suscité un malaise hier au sein de l'organisme. «C'est une démarche privée», a d'abord soutenu Charles Vallerand, le directeur des communications de Droits et Démocratie. Pressé de questions, il a finalement déclaré. «Le personnel est très ébranlé et cherche à communiquer sa perte de confiance envers certains membres du conseil d'administration. Le gouvernement est notre employeur, et il n'est pas question de révolte. Il s'agit d'une démarche structurée pour faire part d'un véritable problème.»
Le gouvernement fédéral n'a pas d'autorité directe sur l'organisme Droits et Démocratie, créé par une loi du Parlement en 1988. C'est le conseil d'administration qui décide des orientations de l'organisme. Par contre, le gouvernement nomme 10 des 13 membres du CA. Tous ont été nommés par les conservateurs dans les dernières années. C'est également le cas de l'ancien président, Rémy Beauregard, décédé d'une crise cardiaque dans la nuit de jeudi à vendredi, à Toronto, pendant la semaine où se tenaient les séances du conseil d'administration.
Lors des rencontres à Toronto la semaine dernière, deux membres du conseil d'administration ont démissionné pour protester contre le virage idéologique que le gouvernement Harper tenterait d'imposer à Droits et Démocratie.
Sima Samar, directrice de la Commission indépendante des droits de la personne en Afghanistan, a remis sa démission jeudi. Elle était l'une des trois membres du conseil d'administration qui provient de l'extérieur du Canada. Payam Akhavan, professeur à l'Université McGill, a aussi démissionné. Un autre membre de l'extérieur du pays, Guido Riveros Franck, a été mis à la porte jeudi.
Les tensions ont pris de l'ampleur récemment, lorsque le gouvernement a nommé deux nouveaux membres au conseil d'administration: David Matas, avocat pour l'organisme activiste juif B'nai Brith Canada, et Michael Van Pelt, président de Cardus, un think tank qui se décrit lui-même comme oeuvrant selon la tradition chrétienne sociale.
La composition du conseil d'administration a alors basculé en faveur du gouvernement Harper. Depuis, deux blocs s'opposent. Sept membres sont en faveur de l'idéologie plus à droite que les conservateurs veulent imposer à l'organisme, alors que six autres membres veulent préserver l'autonomie de l'organisme. Le fer de lance du gouvernement est le président du conseil d'administration, Aurel Braun, qui enseigne à l'Université de Toronto. Il n'a pas rappelé Le Devoir hier.
La nouvelle majorité au conseil d'administration, près des volontés du gouvernement Harper, souhaite que Droits et Démocratie ne mène plus de programme au Proche-Orient. On souhaite également que l'organisme cesse d'entretenir des liens avec des groupes qui critiquent Israël. On voudrait aussi que l'organisme cesse de collaborer avec le Conseil des droits de l'Homme de l'ONU, basé à Genève, et qui n'a pas la faveur du gouvernement Harper. Le bloc de sept membres souhaite également abandonner des programmes jugés importants, comme l'aide aux femmes victimes de violence sexuelle au Congo.
À l'interne, des membres du CA auraient demandé l'origine ethnique de plusieurs employés et s'ils parlaient arabe. «Ils estiment que l'organisme est trop pro-arabe, ce qui est ridicule. On fait du développement démocratique là où la situation l'exige. Mais il y a du harcèlement constant depuis quelques mois», souligne une source à l'interne.
Cette pression pour réorienter les missions de Droits et Démocratie est vue à l'interne comme de l'ingérence, puisque l'organisme relève du Parlement. De plus, Rémy Beauregard aurait été la cible du bloc majoritaire au conseil d'administration. Une évaluation de sa performance a été lancée cet automne par le conseil d'administration, même s'il était en poste depuis 2007 seulement.
Des dizaines de courriels lui ont été envoyés pour qu'il change la direction de Droits et Démocratie. Mais il a résisté jusqu'à la dernière minute. «La nouvelle majorité au CA, très à droite, lui a fait la vie vraiment dure depuis six mois. Il était sous une pression intense. Même s'il a été nommé par le gouvernement Harper, il voulait défendre l'autonomie de Droits et Démocratie, ce qui n'a pas fait plaisir à certains», explique une source qui connaît bien le dossier.
Au ministère des Affaires étrangères, on affirme que Droits et Démocratie est un organisme «non partisan» et que le conseil d'administration est souverain. «Le CA n'a pas à prendre un virage qui fait plaisir au gouvernement. C'est tout ce que je peux dire là-dessus», a soutenu le porte-parole, Alain Cacchione. Il a affirmé que le ministre Cannon déplore les deux démissions et qu'il remercie pour leur bon travail au sein de l'organisme les trois personnes qui ont quitté le conseil d'administration la semaine dernière.