L'entrevue - L'ouragan Hazel

Hazel McCallion espère solliciter un quatrième mandat comme mairesse de Mississauga.
Photo: Jake Wright Hazel McCallion espère solliciter un quatrième mandat comme mairesse de Mississauga.

À 88 ans, Hazel McCallion règne depuis plus de 30 ans sur la ville ontarienne de Mississauga, une tranquille banlieue de Toronto qu'elle défend avec passion. Tiens, tiens, cela nous rappelle quelqu'un...

Québec — Pratiquement inconnue chez nous, Hazel McCallion est une véritable superstar chez nos voisins du Rest of Canada (ROC) où l'on aime l'appeler par son prénom ou par le tendre sobriquet «l'ouragan Hazel» («Hurricane Hazel»). Récemment, le coloré commentateur sportif Don Cherry l'a qualifiée de «meilleure mairesse du monde». Rien de moins.

Or, ici, les rares mentions de son nom dans les revues de presse nous renvoient à des articles sur Andrée Boucher qui, de son vivant, la citait souvent en exemple quand on lui demandait si elle était trop vieille pour diriger une ville. Andrée Boucher est décédée à 70 ans; Mme McCallion en a 88 et, aux dernières nouvelles, elle entend solliciter un quatrième mandat à la tête de la sixième ville du pays.

Rencontrée en marge d'un colloque sur les villes à Ottawa, Mme McCallion se souvient très bien de la mairesse de Sainte-Foy. «Quand elle a été élue à Québec, je lui ai écrit pour la féliciter. Je savais qu'elle se servait de moi pour justifier le fait qu'elle faisait encore campagne, lance-t-elle. Je ne la connaissais pas personnellement, mais j'en ai souvent entendu parler. Elle était une vraie bouffée d'air frais!», ajoute-t-elle, une expression de défi au visage.

Moins flamboyante que Mme Boucher dans ses choix vestimentaires, Mme McCallion a aussi le timbre plus discret. Une voix grave et posée qui rappelle plutôt la calme assurance d'une Louise Harel. Une main de fer dans un gant de velours. Quand on lui demande à quoi elle attribue sa longévité politique, elle répond qu'il faut gérer une ville comme on prend soin de sa maison, tâche qu'elle trouve de plus en plus ardue. «Vient un temps où il faut refaire le toit et remplacer le climatiseur», résume-t-elle, avant de déplorer le manque de ressources financières auquel font face les villes. «Les grandes villes sont les moteurs du Canada, mais nos revenus ne nous permettent pas de remplir toutes nos responsabilités. Nous ne pouvons plus compter seulement sur les taxes foncières.»

Comme Andrée Boucher, Hazel McCallion a fait du renouvellement des infrastructures son principal cheval de bataille. «Avant, gérer une ville, c'était asphalter des routes et entretenir les réseaux d'égouts. Maintenant, on doit faire du développement économique pour attirer des entreprises dans nos villes afin de générer de nouveaux revenus et des emplois. En plus, il faut prendre en charge les transports publics, un enjeu majeur actuellement.»

Mississauga-Sainte-Foy

Toutes proportions gardées, Mississauga a longtemps été à Toronto ce que l'ancienne ville de Sainte-Foy était à Québec. «Nous avons longtemps été la ville-dortoir de Toronto, mais nous avons renversé la tendance, affirme-t-elle. Il y a aujourd'hui plus de gens qui viennent travailler à Mississauga que de travailleurs qui quittent la ville le matin. Nous avons réussi à établir une base économique solide avec 500 sièges sociaux. Aussi, la présence chez nous de l'aéroport international Pearson a permis d'attirer beaucoup de compagnies japonaises.»

Avec ce positionnement, la Ville de Mississauga a maintenu son taux d'endettement loin sous la moyenne canadienne... à zéro! Or ce ne sera plus le cas bientôt. «Nos projections financières nous disent qu'il va falloir emprunter d'ici à 2012 pour financer les infrastructures», déplore-t-elle. Et que ferait différemment si elle avait aujourd'hui 25 ans et toute sa carrière politique devant elle? Sans hésiter, elle donnerait priorité aux transports en commun.

«La plupart des villes se développent autour d'un centre-ville, mais chez nous, c'est le contraire. Nous avons fusionné trois municipalités et cherché à développer le centre par la suite. Nous sommes donc partis de la périphérie. Je ne connais aucune autre ville qui soit faite ainsi, ç'a été tout un défi.» Dès lors, ajoute-t-elle, le développement d'un réseau de transports en commun digne de ce nom est un véritable casse-tête. «Si c'était à recommencer, je planifierais le développement du réseau avant le développement urbain.»

L'éthique municipale

La légendaire mairesse de Mississauga est à la croisée des chemins à plus d'un titre. Après 30 ans d'une gouvernance jugée irréprochable, elle devra affronter en janvier une enquête publique. Comme quoi l'éthique municipale est un enjeu partout. À Mississauga, l'opposition, qui détient depuis 2006 la majorité au conseil municipal, souhaite faire la lumière sur un projet immobilier de 14,4 millions de dollars, les relations entre la Ville, le régime de retraite OMERS et la compagnie World Class Development représentée par le fils de la mairesse, Peter McCallion.

Poussée au coeur de la tempête, «l'ouragan» Hazel devra en outre expliquer pourquoi elle a omis de se retirer d'une réunion où il était question du projet de son fils. En Ontario, l'affaire a fait grand bruit. Ce qui fait dire au journal local que l'enquête qui débutera après les Fêtes promet d'être très médiatisée.

Mme McCallion a démenti qu'il s'agisse d'un des grands défis de sa carrière. «Je me contenterai de dire que la politique est un jeu très étrange qui attire de très étranges personnes», dit-elle sèchement, faisant vraisemblablement allusion à la chef de l'opposition qui a réclamé la tenue de l'enquête, Carolyn Parrish. Et de se lancer dans une longue diatribe sur la prétendue influence «malsaine» d'une presse écrite toujours assoiffée de «controverse».

«Permettez-moi de vous donner un exemple. Le Star [de Toronto] a publié à cette occasion la pire photo qui ait jamais été prise de moi. J'avais l'air d'une vieille sorcière! Vous voulez tout savoir sur cette histoire? Demandez aux gens de Mississauga ce qu'ils en pensent!» Pour reprendre une expression consacrée, Mme McCallion aime son monde et son monde l'aime. «J'aime beaucoup les gens de ma ville et j'accepte la critique. Je vois ça comme un défi. J'ai ma propre émission de télévision toutes les semaines. N'importe qui peut téléphoner pour me poser des questions.»

Certes, Hazel a ses fans. Mercredi dernier, un groupe baptisé Les amis d'Hazel a organisé un grand rassemblement pour manifester son appui à la politicienne. «Quatre ans de plus, quatre ans de plus!», clamaient les supporters de la mairesse qui promet de faire campagne l'automne prochain si sa santé le lui permet. D'ici là, «l'ouragan» Hazel risque enfin de faire parler d'elle jusque chez nous. Bien malgré elle.

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