Harper travaille à son héritage politique

Stephen Harper
Photo: Agence Reuters Stephen Harper

Le premier ministre Stephen Harper prépare son héritage politique. Dans les prochaines semaines, le ministre d'État à la Réforme démocratique, Steven Fletcher, déposera un projet de loi pour créer une nouvelle agence gouvernementale qui fera la promotion de la démocratie dans le monde. La grande priorité de cet organisme sera d'appuyer la création et l'épanouissement de partis politiques dans les démocraties naissantes, a appris Le Devoir.

Même si le projet de loi sera déposé par le ministre Fletcher, la mise sur pied de cet organisme est pilotée par les plus hautes instances du gouvernement, soit le bureau du premier ministre et le Conseil privé, le ministère du premier ministre.

La création de cette agence est vue par M. Harper comme une partie de son héritage politique, dit-on en coulisse. Un peu à l'image de Brian Mulroney, qui a créé l'organisme Droits et démocratie en 1988 pour appuyer les valeurs universelles des droits de la personne partout dans le monde, Stephen Harper veut laisser un organisme actif sur la scène internationale.

Le projet de M. Harper a été évoqué brièvement dans le discours du Trône de novembre 2008, mais il a pris de la vitesse dans les derniers mois. Un comité de quatre personnes a été créé pour réfléchir aux priorités de cette future agence. Le président du groupe est le professeur Thomas Axworthy, qui dirige le Centre for the Study of Democracy de l'Université Queens, à Kingston. Il a déjà été le secrétaire principal du premier ministre Trudeau. Il est le frère de Lloyd Axworthy, ancien ministre libéral des Affaires étrangères.

Le groupe a remis son rapport au gouvernement il y a quelques semaines. La traduction a été terminée la semaine dernière, de sorte qu'il devrait être rendu public dans les prochains jours, a-t-on appris.

En entrevue avec Le Devoir hier, le ministre Fletcher a confirmé que ce rapport servira de base de discussion avec les partis d'opposition aux Communes, qui auront leur mot à dire dans la création de cette agence puisque le gouvernement veut qu'elle relève du Parlement. Le financement, évalué à plusieurs millions de dollars par année, serait entièrement public. «Je veux consulter les partis d'opposition sur le sujet, leur demander leur avis avant de procéder. Ce qui est certain, c'est qu'on veut créer cette agence», soutient Steven Fletcher.

Une fois les partis d'opposition consultés, un projet de loi suivra, probablement en janvier ou au début de février. Le ministre soutient qu'il s'agit d'un «projet unique pour le Canada» et qu'il faut donc bien faire les choses.


Aider les démocraties naissantes

Selon nos informations, le rapport Axworthy recommande que la tâche principale de cette agence soit l'aide au développement des partis politiques à l'étranger. Ce nouvel organisme, que l'on décrit comme «non partisan», serait mis sur pied pour soutenir le passage pacifique à la démocratie dans les pays répressifs et aider les démocraties émergentes à se doter d'institutions solides. Le rapport mentionne Haïti, l'Afghanistan, Cuba ou encore le Zimbabwe.

Le rapport Axworthy souligne même que le Parlement canadien, grâce à cette nouvelle agence, pourrait travailler avec des gouvernements en exil ou des dissidents, afin de les aider à prendre la voie politique. Selon les informations obtenues, le nom de l'agence pourrait être le Centre pour l'avancement de la démocratie.

Le ministre Fletcher n'a pas voulu donner trop de détails hier, mais il confirme avoir un préjugé favorable envers le rapport Axworthy. «La démocratie, ce n'est pas juste des élections, dit-il. Il y a beaucoup de choses entre les élections, et il faut aider les partis politiques à grandir et à être prêts pour les élections. Un pays sans partis politiques est un pays totalitaire.»

Un tel objectif serait partagé par l'ensemble des parlementaires, selon M. Fletcher. «C'est certain que la démocratie et ses mécanismes sont importants pour nous tous au Parlement. Les pays qui sortent d'un conflit ou qui sont une démocratie émergente sont importants. Il faut aider ces populations à améliorer leur vie et ça passe par un gouvernement dynamique dans une démocratie en santé.»

Est-ce que Stephen Harper voit cette agence comme une partie de son testament politique, comme les échos le laissent entendre? «Je vais laisser le premier ministre en parler», répond simplement Steven Fletcher.


Inquiétudes

Par contre, dans le milieu des agences gouvernementales et même des organismes non gouvernementaux (ONG), ce projet de nouvelle agence suscite quelques craintes, a-t-on constaté. À mots couverts, plusieurs travailleurs humanitaires et des droits de l'homme se demandent si Ottawa ne va pas puiser le financement de la nouvelle structure dans les budgets existants destinés aux autres organismes, affaiblissant d'autant le travail du Canada sur d'autres fronts. Certains se demandent aussi pourquoi créer une nouvelle agence, alors que le mandat d'un autre organisme existant, par exemple Droits et démocratie, aurait simplement pu être élargi.

De plus, d'autres institutions dans le monde s'attardent déjà à l'aide aux démocraties émergentes, notamment la Westminster Foundation for Democracy de Londres, qui a été mise sur pied en 1992, et la Netherlands Institute for Multiparty Democracy, basée aux Pays-Bas. Dans ce cas, où serait la spécificité canadienne?

Mais le ministre Fletcher affirme que l'objectif n'est pas de copier d'autres pays. «On s'est informé sur les autres agences et on a pris en considération ce qu'ils font. Nous allons être complémentaires. Ce sera une initiative totalement canadienne», dit-il.

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