Léo Housakos, l'argentier fantôme de la droite

Qui est le sénateur Léo Housakos, mis en cause par Gilles Taillon lors de son départ fracassant de l'ADQ? L'homme de 41 ans, qui n'a pas l'habitude des projecteurs, a pourtant été mêlé à plusieurs controverses dans les derniers mois. Collecteur de fonds conservateur et adéquiste, il a également frayé avec Gérald Tremblay au municipal. M. Housakos a mis à profit un impressionnant réseau pour devenir en quelques années l'une des figures les plus influentes de la politique au Québec. Portrait d'un homme aussi obscur qu'efficace.
Parachuté au Sénat par Stephen Harper le 22 décembre 2008, Léo Housakos était complètement inconnu de la population il y a à peine quelques mois. Mais dans les cercles du Parti conservateur et de l'ADQ, il est l'homme des petits miracles. Celui qui peut amasser plusieurs dizaines de milliers de dollars en quelques semaines à peine, grâce notamment à un réseau bien tissé dans les milieux d'affaires montréalais. Celui qui remplit les coffres avant une campagne électorale imprévue.«Il est très efficace. On n'est pas nommé sénateur à 40 ans si on ne livre pas la marchandise», affirme une source conservatrice qui a requis l'anonymat pour pouvoir parler librement.
Léo Housakos a notamment de bons amis dans les firmes de génie-conseil et les entreprises de construction. Outre son salaire de sénateur (135 000 $), il est également président de Terreau, une filiale à part entière de la firme de génie BPR. Il est aussi président de Quadvision International, une entreprise de consultants en communication fondée par Nicholas Katalifos, un ancien président du Congrès hellénique du Québec. Quadvision International a un numéro de téléphone qui mène à une firme d'avocats où M. Katalifos travaille.
L'entrepreneur en construction Tony Accurso, qui possède plusieurs entreprises et qui brasse de grosses affaires à Montréal et Laval, est une relation de Léo Housakos. «Je l'ai rencontré quelques fois. C'est un grand homme d'affaires», a récemment soutenu M. Housakos à RueFrontenac.com. Il a été impossible de parler au sénateur hier, puisqu'il est en voyage officiel en Europe, dit-on à son bureau.
Léo Housakos a commencé à tisser son réseau très jeune. Dès l'âge de 16 ans, il fait son entrée au sein de l'aile jeunesse du Parti conservateur du Canada. On est alors en 1984, et l'effervescence des années Mulroney s'empare de la politique canadienne. Il fait tranquillement ses classes et devient l'un des organisateurs de Jean Charest lors de la course à la direction de 1993. Une bataille qui couronne finalement Kim Campbell à la tête du PC.
Il étudie alors en communications et en politique à l'Université McGill, où il décroche son baccalauréat. En 1993, à l'âge de 25 ans, il met sur pied la Chambre de commerce hellénique, ce qui lui permet d'étendre son influence dans la région montréalaise. À la même époque, il épouse Demi Papapanagiotou, avec qui il aura deux garçons.
Il refait surface en politique au tournant du siècle, alors qu'il se présente sous la bannière de l'Alliance canadienne dans la circonscription de Laval-Ouest en 2000. Il mord la poussière devant les libéraux. Ironie de l'histoire, son adversaire du Parti progressiste-conservateur dans cette circonscription lors de l'élection est Michael Fortier, qui deviendra plus tard ministre et sénateur (de passage) dans le gouvernement Harper.
Housakos se fait néanmoins remarquer par les organisateurs de l'Alliance au Québec. Dès l'année suivante, le candidat à la mairie de Montréal Gérald Tremblay recrute une partie de l'équipe allianciste pour mener sa campagne. Léo Housakos et Dimitri Soudas entrent alors au service du futur maire de Montréal.
Dimitri Soudas est maintenant attaché de presse de Stephen Harper et il était son conseiller pour le Québec jusqu'à cet automne. Un rôle de premier plan dont profitera son ami Housakos.
Housakos et Soudas sont des amis d'enfance. Des sources racontent que M. Soudas, d'une dizaine d'années plus jeune que Léo Housakos, considère son aîné comme un mentor politique. «Ils étaient toujours ensemble», dit une source qui a fait la campagne électorale municipale de 2001 avec eux. Les deux sont alors responsables des relations avec les communautés culturelles. C'est là que Léo Housakos se lie d'amitié avec Marcel Tremblay, le frère du maire, qui est alors l'un des quatre organisateurs de la campagne. Marcel Tremblay fera le saut en politique active à la dernière minute lors de la campagne de 2001.
Se faire les dents
C'est dans le milieu municipal que Léo Housakos se fait les dents dans le domaine du financement politique. Il apprend les rouages du métier, même si sa principale tâche demeure celle d'organisateur et non pas de collecteur de fonds.
Une fois élu maire, Gérald Tremblay confie la responsabilité des communautés culturelles au trio Marcel Tremblay-Léo Housakos-Dimitri Soudas. Mais en mai 2002, les médias font état d'un cabinet à la taille disproportionnée et six employés passent à la trappe. Dimitri Soudas prend le chemin d'Ottawa auprès de Stephen Harper et Léo Housakos devient tranquillement l'argentier de l'ADQ, un parti en mal de financement.
Housakos arrive en terrain connu puisque des amis qu'il a fréquentés au sein des jeunes conservateurs, comme Alain Sanscartier, sont maintenant auprès de Mario Dumont, le chef de l'ADQ (M. Sanscartier a été chef de cabinet de Dumont). Housakos devient très près de Mario Dumont, qu'il considère comme un ami.
C'est d'ailleurs Housakos qui soumet l'idée de payer Mario Dumont 50 000 $ par année à même les fonds du parti, en plus de son salaire de député. Autre exemple: en juin 2007, en pleine crise sur le budget du gouvernement minoritaire de Jean Charest, c'est à l'invitation d'Housakos que Mario Dumont se rend à Montréal rencontrer des membres éminents de la communauté juive plutôt que de rester à Québec.
Harper dit non
À l'automne 2003, alors que la course à la direction du nouveau Parti conservateur fusionné bat son plein, Housakos propose à Stephen Harper d'organiser sa course au Québec, moyennant une somme d'argent importante (ce qui est tout à fait légal). M. Harper estime que ses chances sont faibles au Québec et que cette somme sera de l'argent mal dépensé. Il refuse l'offre.
Léo Housakos se met alors au service de Larry Smith, éditeur du journal The Gazette et aujourd'hui président des Alouettes de Montréal, qui veut se lancer dans la même course à la direction. Il organise un événement de financement à Montréal en novembre, mais M. Smith décide finalement de ne pas se porter candidat.
Housakos reviendra dans les bonnes grâces de Stephen Harper en 2006, année où ce dernier devient premier ministre. Housakos, alors à l'ADQ, s'occupe du financement pour plusieurs candidats conservateurs dans la région de Montréal, une tâche difficile en raison de la faible popularité du parti. Son amitié avec Dimitri Soudas, qui a l'oreille du premier ministre, contribue à son retour et à son influence dans les hautes sphères du pouvoir à Ottawa.
Néanmoins, dans les rangs conservateur et adéquiste, une méfiance s'installe tranquillement envers Léo Housakos. On juge ses méthodes de financements «agressives» et une aura de puissance commence à l'entourer, ce qui agace des militants.
«C'est un gars discret, très calme, qui est d'agréable compagnie, raconte un organisateur conservateur qui a préféré garder l'anonymat. Mais il ne se mêle pas beaucoup aux députés, aux organisateurs de terrain et aux stratèges. À part Dimitri Soudas, personne ne peut dire qu'il connaît bien Housakos. Il fait du financement dans son coin, ce qui a contribué à cette méfiance. Parfois, on arrivait dans un événement et on apprenait que Léo était passé la veille ou la semaine précédente pour collecter des fonds. Des grands bouts, on aurait dit un fantôme. On ne savait pas trop ce qu'il faisait et où il était.»
Malgré cet inconfort grandissant, le chef de l'ADQ et l'entourage de Harper lui vouent une grande confiance. «Il fait ce qu'on lui demande, il ramène de l'argent. C'est précieux en politique», dit une source pour justifier l'ascension d'Housakos dans les deux partis.
Soudas et Housakos seront le ciment qui permettra de sceller le lien entre Harper et Dumont, faisant travailler les deux machines politiques main dans la main. Les deux hommes prennent du galon. «Entre 2006 et 2008, le duo Soudas-Housakos en mène large au Québec. C'est un peu moins le cas maintenant, depuis le désastre de la dernière élection fédérale au Québec et l'arrivée de Christian Paradis, mais il fut un temps où ils avaient un mot à dire dans presque toutes les nominations fédérales faites au Québec», explique un conservateur bien branché.
Son homme au Port de Montréal
Par exemple, en 2007, Housakos tente de mettre son homme à la tête du Port de Montréal, en remplacement du président sortant, Dominic Taddeo. Il s'agissait de Robert Abdallah, ancien dirigeant de la Ville de Montréal dans l'administration Tremblay, qui a démissionné en 2006 dans des circonstances inexpliquées.
Dimitri Soudas prévient alors le Port de Montréal que M. Abdallah est l'homme d'Ottawa, mais le conseil d'administration s'oppose en bloc à la nomination, ce qui fait dérailler le processus.
La semaine dernière, La Presse rapportait que le gouvernement Harper souhaite encore nommer M. Abdallah au Port de Montréal, mais cette fois comme administrateur au conseil. La tentative a été mise sur la glace en raison des liens existant entre M. Abdallah et l'homme d'affaires Tony Accurso, dont le nom a été associé aux vagues de la dernière campagne électorale municipale. M. Abdallah dirige Gastier, une entreprise de M. Accurso.
À Ottawa, l'amitié entre Dimitri Soudas et Léo Housakos fera nommer ce dernier au Sénat, en compagnie d'un autre proche du duo: l'ancien maire de Saint-Eustache, Claude Carignan. M. Soudas n'a pas rappelé Le Devoir hier.