Lutte contre le terrorisme - Ottawa dépense sans compter

Le régime fédéral des certificats de sécurité coûte très cher au trésor public. Depuis deux ans, plus de 60 millions de dollars ont été dépensés pour tenter d'expulser hors du pays cinq individus que le gouvernement canadien soupçonne d'être liés à des groupes terroristes.

Le bureau du ministre de la Sécurité publique, Peter Van Loan, a soutenu hier que la facture est élevée en raison des frais d'avocats.

Ottawa doit non seulement payer les frais d'avocats du gouvernement, mais aussi ceux de la défense, puisque les cinq individus ont recours à l'assistance juridique pour contester leur expulsion.

La facture est aussi plus élevée parce que les cinq hommes contestent leurs certificats de sécurité depuis plusieurs années. « La hausse des coûts est le résultat direct de la lenteur des procédures », a dit au Devoir Peter Van Loan, qui ajoute que diminuer les coûts est toujours un objectif du gouvernement.

Une nouvelle qui survient au moment où la juge de la Cour fédérale Danièle Tremblay-Lamer, qui a rencontré à huis clos mercredi les avocats de la Couronne, doit maintenant décider si elle va retirer ou non le certificat de sécurité imposé au Montréalais Adil Charkaoui, l'un des cinq individus frappés par ce régime. La cause est en délibéré, mais la juge a déjà signalé la semaine dernière qu'elle penchait en faveur de la révocation du certificat, puisque les preuves du gouvernement ne sont plus assez solides pour le maintenir.

La facture, un moindre mal?

Selon le ministre de la Justice, Rob Nicholson, la sécurité est la priorité du gouvernement et il n'est pas question de faire un compromis pour épargner de l'argent. « On fait ce qu'on peut avec le système qu'on a », a-t-il dit hier.

La facture de 60 millions de dollars est également le fruit d'une nouvelle procédure dans le régime des certificats de sécurité. En octobre 2007, pour se conformer à un jugement de la Cour suprême, le gouvernement a introduit les avocats spéciaux, qui peuvent prendre connaissance de la preuve secrète du gouvernement pour aider les accusés à se défendre. La présence de cet avocat, qui rend le processus judiciaire plus équitable, a un coût, puisque leur taux horaire est de 275 $. Une rémunération qui n'est toutefois pas hors normes.

Stéphane Beaulac, professeur en droit international à l'Université de Montréal, estime que c'est la lourdeur du processus qui fait monter les frais. « Les certificats de sécurité sont soumis à des révisions périodiques, dit-il. Allez devant les tribunaux tous les trois ou six mois, ça coûte cher. Sans compter les appels de la défense. Et il y a toujours beaucoup d'avocats impliqués de chaque côté. »

M. Beaulac avoue toutefois sa surprise devant le montant de 60 millions en deux ans. « C'est beaucoup d'argent pour seulement cinq individus », dit-il, sans toutefois remettre en question le principe des certificats de sécurité. « Plusieurs pays ont un système semblable. Le Canada n'est pas le seul », dit-il, citant les États-Unis, l'Australie et la Grande-Bretagne.

Le certificat de sécurité est une mesure exceptionnelle qui sert à expulser du territoire canadien toute personne ne détenant pas sa citoyenneté et qui pose une menace à la sécurité nationale. En vertu de ces certificats, le gouvernement peut détenir les individus jusqu'au moment de leur expulsion du pays. Leur incarcération n'est pas indéfinie, mais se poursuit tant que les personnes visées exploitent leurs recours judiciaires pour contester leur expulsion, ce que font les cinq personnes (Adil Charkaoui, Mohammed Harkat, Hassan Almrei, Mohammed Mahjoub et Mahmoud Jaballah) en cause.

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Avec la collaboration d'Hélène Buzzetti

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