Carignan sera sénateur, mais pas maire
Ottawa — Claude Carignan, la nouvelle recrue québécoise de Stephen Harper au Sénat, ne restera pas maire de Saint-Eustache. La loi québécoise sur les élections municipales lui impose de démissionner de l'un de ses deux postes, ce qu'il fera le jour de son assermentation à la Chambre haute.
Claude Carignan a été nommé jeudi sénateur alors qu'il dirige toujours la municipalité de la banlieue nord de Montréal. En entrevue avec Le Devoir, il avait confirmé qu'il resterait non seulement en poste, mais qu'il se représenterait à l'élection municipale le 1er novembre prochain. «Oui, c'est définitif. Il n'y a aucune disposition qui l'interdit, alors c'est permis», avait-il déclaré. Il ajoutait qu'être «sénateur, c'est [un travail] à temps partiel, la plupart des sénateurs ont un autre emploi».La réalité — et la loi — l'ont rattrapé hier. Il a annoncé qu'il changeait son fusil d'épaule et qu'il quittera ses fonctions de maire. Si rien dans la législation fédérale n'empêche un sénateur de cumuler des fonctions (ce que plusieurs font d'ailleurs), la législation québécoise est plus stricte.
La Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités, une loi du Québec, précise à l'article 300 que: «Est inhabile à exercer la fonction de membre du conseil qu'elle occupe la personne qui a été élue alors qu'elle était [...] membre du Parlement du Québec ou du Canada.» Selon la Constitution canadienne, le Parlement du Canada comprend la reine, la Chambre des communes et le Sénat.
«C'est bien clair, au 31e jour de son serment, il faut qu'il démissionne», conclut Marc-André LeChasseur, avocat spécialisé en droit municipal chez Fasken Martineau.
Joint hier en fin de journée, M. Carignan semblait avoir le moral, riant de bon coeur. «Je n'ai qu'émis le voeu hier [jeudi] de continuer, et les professeurs de droit se sont mis dans leurs dossiers. Je viens de dicter un communiqué de presse disant que j'ai reçu un avis juridique confirmant qu'on ne peut pas cumuler les deux fonctions. Je vais cesser mon travail de maire la journée de mon assermentation comme sénateur, et évidemment que je ne serai pas candidat à l'élection le 1er novembre.»
M. Carignan s'était présenté à l'élection fédérale l'automne dernier pour le Parti conservateur. Il était resté maire, bien qu'il ait suspendu ses activités. Il aurait dû démissionner 31 jours après son éventuelle élection à la Chambre des communes. Candidat-vedette du Parti conservateur, il avait terminé deuxième, très loin derrière le candidat bloquiste.
Il existe des précédents dans l'histoire de sénateurs ayant occupé d'autres fonctions publiques. Le cas de Sarto Fournier est peut-être le plus connu. Nommé sénateur libéral en 1953 (jusqu'à sa mort en 1980), cela ne l'a pas empêché de devenir maire de Montréal de 1957 à 1960. Les lois ont changé depuis.
Si M. Carignan avait conservé ses deux postes, il aurait été quitte pour des attaques politiques virulentes. Libéraux, bloquistes et néo-démocrates déchiraient leur chemise hier, avant que le maire-sénateur ne change d'idée.
«On n'est plus dans les années 1970, c'est fini ce temps-là», tonnait le député libéral Denis Coderre. «Il s'agit de double-dipping inacceptable. On ne peut pas occuper deux charges publiques en même temps. Les contribuables de Saint-Eustache se trouvent à payer le salaire de sénateur et le salaire de maire.» Il se demandait ce qui arriverait quand les gens l'appelleraient. «Est-ce que ça va dire: "Ici Claude Carignan. Si vous voulez parler au maire, faites le un, si vous voulez parler au sénateur, faites le deux"?»
Le leader parlementaire bloquiste, Pierre Paquette, accusait le maire Carignan d'être «méprisant» pour ses électeurs de Saint-Eustache. «Ils s'attendent à un maire à temps plein. [...] S'il est respectueux du processus démocratique, il va choisir un poste pour lequel il a été élu, pas nommé.»
Le chef du NPD, Jack Layton, reprochait à M. Carignan sa désinvolture quant au cumul des fonctions. «M. Carignan nous dit au fond que le Sénat ne sert à rien, ce avec quoi on est tout à fait d'accord, mais de l'autre il ne se fait pas prier pour empocher l'argent.» Le salaire des sénateurs à Ottawa a été indexé cette année et s'élève à 132 300 $.
Engagé envers la réforme?
Par ailleurs, le sénateur et ancien entraîneur du Canadien de Montréal, Jacques Demers, devra revoir un peu son propre plan de carrière. En entrevue au Téléjournal jeudi soir, il a déclaré qu'il resterait en poste jusqu'à sa retraite obligatoire, dans 10 ans. Or, un porte-parole du bureau du premier ministre a confirmé au Devoir hier que Stephen Harper avait posé comme condition à ses nominations que les nouveaux sénateurs endossent sa réforme du Sénat. Cette réforme prévoit l'élection des sénateurs pour un mandat d'une durée limitée de huit ans.
«J'arrive au Sénat pour travailler, donner mon opinion et essayer peut-être dans les 10 prochaines années, pas peut-être, amener dans les 10 prochaines années — parce que j'ai 65 ans, ça se termine à 75 ans — des possibilités d'améliorer [...] le Québec», a dit M. Demers sur les ondes de la Société Radio-Canada.
Finalement, contrairement aux informations publiées dans Le Devoir hier, Stephen Harper ne détiendra pas plus de sièges que les libéraux à compter de janvier 2010. Avec les quatre retraites prévues, il y aura plutôt égalité: 50 sièges pour chacun des partis. Ce n'est qu'en décembre 2010 que les conservateurs — s'ils restent au pouvoir et comblent tous les sièges vacants — détiendront la majorité absolue de 53 sièges.