Ottawa coupe 162 millions

Gary Goodyear
Photo: Agence Reuters Gary Goodyear

Ottawa — La communauté scientifique du gouvernement fédéral commence à mesurer l'ampleur des compressions budgétaires dans son domaine. Et les nouvelles ne sont pas bonnes. Des chercheurs, des analystes et des scientifiques perdront leur emploi d'ici le mois de juin, en raison de coupures qui totalisent 162 millions de dollars sur trois ans.

Dans le cadre de sa «révision stratégique des dépenses», le gouvernement Harper a demandé à plusieurs organismes et ministères d'indiquer des endroits où couper dans les budgets.

Les quatre plus importants organismes scientifiques du gouvernement canadien font partie du lot: le Conseil de recherches en sciences naturelles et génie du Canada (CRSNG), le Conseil national de recherches du Canada (CNRC), le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) et les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC).

Selon les informations obtenues, les quatre organismes ont annoncé à leurs employés au cours des dernières semaines que des compressions totalisant 162 millions de dollars seront effectuées d'ici trois ans.

Selon l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada, un syndicat qui représente 15 000 chercheurs oeuvrant au sein du gouvernement, il y a un «déclin des capacités scientifiques du Canada» depuis quelques années et les compressions ne vont pas arranger les choses.

Le président intérimaire du syndicat, Gary Corbett, affirme que le gouvernement conservateur «tourne le dos à cette importante ressource nationale en cherchant à économiser quelques dollars». «Cela nous en dit long sur son engagement envers la science dans notre pays», dit-il.

Des effets concrets

Hier, 30 employés du Conseil national de recherches du Canada ont reçu leur avis de cessation d'emploi, qui prendra effet le 9 juin prochain. Ces chercheurs victimes des compressions sont éparpillés à travers le pays. Selon une note interne lue au Devoir par téléphone, les employés pourront demander à être inscrits sur la liste de rappel du CNRC, au cas où des postes deviendraient vacants ailleurs.

C'est que le CNRC doit retrancher 35 millions de dollars d'ici trois ans, soit l'équivalent de 5 % de son budget. D'autres pertes d'emplois pourraient survenir au CNRC, notamment à l'Institut canadien de l'information scientifique et technique, sorte de grosse bibliothèque scientifique du gouvernement fédéral.

Un porte-parole du CNRC, Marc Hudon, a confirmé que la privatisation ou le démantèlement de cette bibliothèque est envisagé. «Une décision sera prise d'ici 12 à 18 mois», dit-il. Environ 175 personnes pourraient perdre leur emploi.

Mais M. Hudon a voulu se faire rassurant. «Le CNRC a identifié certains domaines où de tels fonds pourraient être utilisés à meilleur escient. L'argent sera réinvesti dans des programmes scientifiques et technologiques.»

Les trois autres organismes de recherches scientifiques publiques font face aux mêmes défis. Le plus affecté sera le Conseil de recherches en sciences naturelles et génie du Canada, qui doit couper 69,2 millions de dollars sur trois ans. Sept programmes ont déjà été ciblés, dont le Programme d'appui aux professeurs universitaires et le Programme-pilote de renforcement de la capacité de recherche dans les petites universités. Pour l'instant, aucune perte d'emploi n'est envisagée, dit-on.

Selon les informations qui circulent, les Instituts de recherche en santé du Canada devront quant à eux dégager 35 millions de dollars sur trois ans. Mais un porte-parole de l'organisme n'a pas voulu confirmer ce chiffre au Devoir, affirmant que le budget de 978 millions en place cette année (2009-10) est en légère hausse. «Il y aura peut-être un impact dans les années à venir, mais on n'a aucune information en ce sens pour l'instant», a dit ce porte-parole qui refuse d'être identifié.

Le dernier des quatre organismes, le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, a annoncé à ses employés que la «réaffectation budgétaire» — le terme poli pour désigner les compressions — atteindra 22,9 millions de dollars. Le budget du CRSH sera touché par des coupes de 8,19 millions, alors que le Programme des coûts indirects sera amputé de 14,7 millions.

Le fond du baril?

Les organismes scientifiques étaient visiblement mal à l'aise de commenter les compressions hier. Certains porte-parole ont même demandé au ministre d'État à la Science et à la Technologie, Gary Goodyear, s'ils pouvaient répondre aux questions du Devoir.

Plusieurs porte-parole ont d'ailleurs tenu à souligner certains bons coups du gouvernement Harper, notamment l'investissement de deux milliards de dollars dans les infrastructures du savoir, annoncé dans le dernier budget. Cette somme servira entre autres à rénover et améliorer les laboratoires. Les centres scientifiques des universités recevront aussi une part du montant, qui est toutefois conditionnelle à un investissement équivalent des gouvernements provinciaux.

Même s'il salue ces investissements, l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada affirme que l'augmentation des sommes dans les infrastructures du savoir n'est pas une panacée. Des laboratoires mieux équipés, mais sans les programmes ou les chercheurs pour les utiliser, cela ne sert à rien, estime le syndicat.

Gary Corbett ne vise pas uniquement les conservateurs, même si la situation actuelle représente le fond du baril, dit-il. «La science publique a été ciblée par des réductions d'effectifs et des compressions budgétaires au cours de la dernière décennie. En utilisant des étiquettes comme "examen de programmes" et "examen stratégique", les gouvernements ont progressivement dégradé la capacité scientifique du pays. Le gouvernement actuel a tellement attaqué la science publique que celle-ci se rapproche dangereusement de son seuil critique.»

Le syndicat est particulièrement mécontent de voir la différence entre le Canada et les États-Unis, où l'administration Obama a commencé à réinvestir dans sa recherche scientifique dite «publique», soit celle menée par des organismes du gouvernement. «Il y a un véritable danger que [nos] scientifiques, chercheurs et ingénieurs se tournent vers les États-Unis pour poursuivre leur carrière», dit M. Corbett.

Le bureau du ministre Goodyear n'a pas rappelé Le Devoir hier.

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