200 millions par mois pour la guerre en Afghanistan

Photo: Agence France-Presse (photo)

Ottawa — La facture finale de la mission en Afghanistan pourrait atteindre jusqu'à 18,1 milliards de dollars en 2011, un chiffre que le gouvernement fédéral n'a jamais fourni au Parlement, même lorsqu'il débattait du prolongement du déploiement militaire l'hiver dernier. C'est le nouveau directeur parlementaire du budget, Kevin Page, qui, à la veille du scrutin du 14 octobre, a comblé ce vide hier et jeté un caillou dans les mares conservatrice et libérale.

M. Page a en effet déploré que le Parlement ait été tenu dans le noir depuis le début de cette mission, y compris sous les libéraux. «Même si le Canada en est maintenant à sa septième année de participation, le Parlement et les Canadiens n'ont eu accès à aucune estimation précise et détaillée des coûts totaux encourus par les ministères appuyant la mission», a-t-il dit en conférence de presse.

Et ces coûts, au dire même de M. Page, sont «substantiels». De 2001-02 à 2007-08, les coûts combinés des opérations militaires, de l'aide étrangère et des soins aux anciens combattants ont atteint entre 7,7 et 10,5 milliards. La prolongation de la mission jusqu'en 2011 gonflera la note de 6,3 à 7,7 milliards supplémentaires. Si la taille du contingent canadien reste inchangée, les Canadiens auront ainsi déboursé entre 13,9 et 18,1 milliards au moment où la mission prendra fin. On parle de 200 millions de dollars par mois ou encore de 1500 $ par foyer.

La note pourrait même être plus salée puisque l'étude ne prend pas en considération les achats accélérés pour de nouveaux équipements, le salaire pour dangers imminents et les allocations en temps de guerre. M. Page n'a pu en tenir compte «étant donné l'absence de données fiables», a-t-il dit. De plus, il n'a pas intégré le coût du volet diplomatique de la mission et a évalué de façon conservatrice les coûts liés à l'invalidité

Voir page a 12: Afghanistan

et aux soins de santé des anciens combattants.

L'évaluation de l'équipe de M. Page montre combien le gouvernement fédéral a sous-évalué le coût de cette guerre. Dans un document du ministère de la Défense obtenu par Le Devoir le printemps dernier, les militaires calculaient que la mission aurait coûté cinq milliards à la fin de février 2009 et 2,5 milliards de plus en la prolongeant jusqu'en 2011. Or, selon l'évaluation de M. Page, la facture finale du volet militaire atteindra à elle seule entre 10,9 et 13,2 milliards, ce qui ne tient pas compte des salaires et autres coûts que le gouvernement aurait engagés de toute façon.

Pavé électoral

La publication de ce rapport à quatre jours du vote arrive à un mauvais moment pour le chef conservateur Stephen Harper, lui qui tente de contrer le ressac provoqué par sa réaction tiède aux inquiétudes des Canadiens et de faire mentir ceux qui l'accusent de manquer de transparence.

Invité à commenter ce rapport, M. Harper a reconnu que les coûts étaient «élevés». «C'est clairement une mission chère, on n'a jamais dit le contraire. Mais on ne peut éviter la grande majorité des coûts», a-t-il poursuivi, rappelant toutefois que la poursuite de la mission avait été approuvée par le Parlement avec l'appui du Parti libéral et que c'était le PLC qui avait envoyé les troupes canadiennes dans la dangereuse (et donc coûteuse) région de Kandahar.

Il a affirmé que les coûts englobent à la fois les opérations militaires et le développement humanitaire, un volet qui a été bonifié récemment. «On met beaucoup d'argent dans le développement et la diplomatie et tous les partis sont d'accord. On met de l'argent pour former l'Armée nationale afghane et tous les partis sont d'accord.»

De l'avis de Stephen Harper, le travail réalisé en Afghanistan est trop important pour qu'on joue les radins. «Cette mission est très difficile, mais on est là-bas pour les bonnes raisons. [...] Il faut dépenser ce qu'il faut pour aider le peuple afghan, mais aussi pour assurer la sécurité de nos hommes et de nos femmes qui risquent leur vie là-bas.»

Le rapport publié hier montre que l'aide étrangère n'a représenté, jusqu'à présent, que de 9 à 12 % des coûts de la mission afghane alors que le volet militaire a accaparé entre 71 et 77 % des ressources financières. Le reste a servi aux anciens combattants. D'ici 2011, la part de l'aide étrangère pourrait être encore plus maigre, note l'étude.

Transparence

Interrogé sur le manque de transparence relevé par Kevin Page, le chef conservateur a partiellement esquivé la question. «Il y a un débat sur ce qu'on devrait inclure ou non dans les coûts de la mission. C'est parfois difficile d'avoir les chiffres sur l'Afghanistan séparés des coûts pour les autres opérations militaires», a-t-il dit alors qu'il était de passage à Vancouver.

Le Bureau du directeur parlementaire du budget met en lumière un tout autre problème. Il a été confronté à un manque de données complètes, uniformes et claires en provenance des différents ministères concernés, et cela quand ils lui en ont fourni. Le directeur avoue avoir eu des difficultés à ce chapitre, n'arrivant pas à savoir, par exemple, le nombre exact de réservistes déployés ou le coût de certains projets de l'ACDI. L'équipe de M. Page a fait face à un autre problème: des séries de chiffres soumises au Parlement par le ministère de la Défense qui ne reflétaient pas des estimations internes plus élevées.

En campagne à Halifax, le chef libéral Stéphane Dion en a conclu que ce rapport était un exercice de «fausse transparence» de la part du gouvernement puisqu'«on ne sait pas année après année quels ont été les problèmes, on ne sait pas de combien on dépasse le cadre fiscal». Selon lui, les Canadiens «ont droit à cette information», mais il n'a pas voulu commenter le manque de transparence dont auraient aussi fait preuve les libéraux. M. Dion s'est contenté de répéter que les Canadiens auront droit à un gouvernement transparent s'il est élu le 14 octobre.

Partisan d'un retrait immédiat, le chef néo-démocrate Jack Layton a fustigé ses deux adversaires pour une facture nettement plus élevée que ce qu'avaient laissé entendre les gouvernements conservateur et libéraux. «Ils n'ont pas été francs avec les Canadiens», a-t-il dit depuis Sudbury. Paul Dewar, le député néo-démocrate qui avait demandé cette enquête, se demandait quant à lui pourquoi on poursuivait une mission qui ne fonctionne pas.

Pour sa part, le chef bloquiste Gilles Duceppe a complètement ignoré les libéraux pour viser et accuser Stephen Harper d'avoir «induit la population en erreur». M. Duceppe a rappelé que le Bloc a toujours déploré la trop grande importance accordée au volet militaire au détriment du volet humanitaire. Persuadé qu'aucune victoire militaire n'est possible, il affirme qu'«il faut arrêter les frais et axer nos efforts sur la diplomatie et l'aide humanitaire». Il regrette d'ailleurs que la mission de combat n'ait pas pris fin en février 2009, comme son parti le souhaitait.

La divulgation du rapport, le premier publié par ce nouveau fonctionnaire du Parlement, a failli être retardée à cause de la campagne électorale en cours, une campagne où les questions de politique étrangère ont été largement occultées. L'importance de l'enjeu a toutefois amené tous les partis à accepter que M. Page puisse rendre le document public avant le vote du 14 octobre.

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Collaboratrice du Devoir

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Avec la collaboration d'Alec Castonguay et de La Presse canadienne

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