Afghanistan - Des soldats blessés dans l'âme

Le nombre de soldats canadiens qui souffrent de problèmes psychologiques à leur retour de Kandahar ne cesse d'augmenter. Mais il n'y a pas qu'au front qu'on souffre, puisque les anciens combattants à la retraite sont plus nombreux que jamais à endurer le syndrome de stress post-traumatique.
Ottawa — Les combats avec les talibans et les attentats sanglants à Kandahar continuent de faire souffrir mentalement les soldats canadiens à leur retour au pays. Le nombre de militaires atteints de problèmes psychologiques depuis leur déploiement en Afghanistan approche maintenant les 1000 soldats, selon un document du ministère de la Défense obtenu par Le Devoir en vertu de la Loi d'accès à l'information.En fait, un soldat sur sept souffre de problèmes importants de santé mentale à peine six mois après son retour au pays, ce qui l'empêche d'être redéployé en mission rapidement. Pour une armée à la limite de ses capacités qui doit encore rester à Kandahar pendant trois ans, ce phénomène pourrait devenir un sérieux handicap. «C'est clair que ça va commencer à peser dans la balance», dit une source militaire qui a requis l'anonymat.
Le nombre de soldats atteints mentalement par la mission en Afghanistan continuera d'augmenter, puisque les spécialistes de la Défense précisent dans le document que les problèmes ont tendance à apparaître à moyen et long terme, particulièrement en ce qui a trait au syndrome de stress post-traumatique (SSPT). Or l'évaluation préliminaire de l'armée porte sur le court terme, puisque tous les soldats doivent subir un examen psychologique obligatoire trois à six mois après leur retour d'Afghanistan.
«La prévalence des problèmes de santé mentale augmente généralement dans les 12 mois suivant le retour. En conséquence, nous anticipons qu'il y aura davantage de membres des Forces canadiennes aux prises avec des problèmes de santé mentale reliés à leur déploiement dans les prochains mois ou les prochaines années», peut-on lire. Le document de 21 pages est signé par le docteur Mark Zamorski, chef de la Section de santé en déploiement des Forces canadiennes.
L'évaluation des soldats permet aux Forces canadiennes de mesurer rapidement la «facture» psychologique de la mission et d'adapter en conséquence les ressources d'aide au Canada et à Kandahar.
D'après les dernières analyses disponibles, 14,1 % des soldats de retour de Kandahar depuis octobre 2005 souffrent d'au moins un problème de santé mentale. En nombre absolu, il s'agit de 871 militaires.
À ce chiffre, il faut toutefois ajouter presque autant de soldats considérés «à haut risque» d'avoir des problèmes d'alcool, puisqu'ils sont 13 %. L'armée définit le «haut risque» comme étant le cas des militaires qui ont tendance à boire plus que la normale, mais qui n'auraient pas encore développé une dépendance. En ce sens, il ne s'agit pas encore d'un problème de santé mentale aux yeux des Forces canadiennes.
Ensuite, 4,4 % des soldats de retour de Kandahar souffrent du syndrome de stress post-traumatique, 4,6 % éprouvent des symptômes de dépression majeure, alors que 4,3 % souffrent d'une dépression mineure. Les militaires affligés de tendances suicidaires sont 3,6 %, alors que 1,9 % d'entre eux sont atteints de crises de panique et 2,6 %, d'anxiété.
Depuis l'automne dernier, les chiffres en ce qui concerne les dépressions majeures et mineures, ainsi que l'anxiété, sont en légère hausse. Le SSPT, les tendances suicidaires et les crises de panique sont quant à elles en légère baisse. «Même si la vaste majorité des soldats de retour au pays n'a aucun problème de santé mentale, une importante minorité (14,1 %) continue de souffrir de l'un des six problèmes de santé mentale les plus répandus», peut-on lire dans le document. Les médecins ajoutent: «Les résultats semblent confirmer la nature difficile de l'opération [en Afghanistan]».
Des 11 300 soldats qui ont fait un séjour à Kandahar depuis le 1er octobre 2005, 6300 ont subi leur évaluation psychologique. Le document obtenu par Le Devoir a été mis à jour le 28 avril dernier. Étant donné les délais, la condition des 2300 soldats québécois revenus au pays entre mars et mai derniers n'avait pas encore été évaluée.
Silence à la Défense
En novembre, Le Devoir révélait que 17,1 % des soldats de retour de Kandahar souffraient d'au moins un problème de santé mentale. La proportion étant maintenant de 14,1 %, selon le document, Le Devoir a cherché à savoir ce qui explique cette différence, étant donné que la situation sur le terrain, à Kandahar, a peu changé. Est-ce que quelque chose a été modifié dans la manière de présenter les résultats? Est-ce que les traitements préventifs administrés aux soldats seraient plus efficaces?
Des questions demeurées sans réponses puisque, depuis bientôt trois semaines, le ministère de la Défense empêche le docteur Mark Zamorski de parler au Devoir, et ce, même s'il est prêt à le faire. Le spécialiste attend un feu vert officiel qui ne vient pas. Pourtant, Mark Zamorski nous avait accordé une longue entrevue en novembre dernier pour le précédent dossier sur la santé mentale des soldats.
Il faut toutefois préciser que les communications du ministère de la Défense ont été mises sous la tutelle du Conseil privé (le ministère du premier ministre) et du bureau politique de Stephen Harper depuis décembre dernier.
Tout comme le ministère des Affaires étrangères et le ministère de l'Environnement avant lui, le ministère de la Défense est maintenant sous le joug du gouvernement Harper, qui impose un strict contrôle de l'information. Il n'est plus rare de devoir attendre plusieurs semaines pour obtenir une simple information factuelle... qui parfois ne vient jamais. Ce contrôle excessif avait amené le chef libéral Stéphane Dion à dire aux Communes que le gouvernement Harper était «le plus secret de l'histoire canadienne».
Anciens combattants
En matière de santé mentale, la situation n'est pas plus rose pour les militaires à la retraite. Dans une étude interne, le ministère des Anciens combattants concluait que 10 252 vétérans souffrent de problèmes psychiatriques, dont 63 % du syndrome de stress post-traumatique.
«Au cours des cinq dernières années, le nombre de clients souffrant de problèmes psychiatriques a triplé, passant de 3501 à 10 252», note le document des Anciens combattants rédigé en février dernier.
Pour répondre à la demande, les ministères de la Défense et des Anciens combattants investissent massivement dans les soins psychologiques offerts aux soldats. Cinq cliniques spécialisées en santé mentale s'ajouteront cette année aux cinq déjà en place à travers le pays. L'armée espère aussi doubler son personnel formé en maladies mentales d'ici 2009, passant de 229 à 447 spécialistes, une opération estimée à 98 millions de dollars.
Consciente du fait que les soldats seraient confrontés à des scènes pénibles durant leur mission en Afghanistan, l'armée a envoyé un psychiatre, un travailleur social et une infirmière spécialisée en santé mentale au front. Ces derniers ne se contentent pas de rester à la grande base militaire de Kandahar, puisqu'ils se déplacent en territoire dangereux, dans les bases avancées, pour rencontrer les soldats.
Normal, puisque les atrocités les plus graves sont observées par les 1000 soldats (sur 2500) qui forment le groupe de combat. Un mitrailleur risque beaucoup plus d'être aux prises avec ses démons intérieurs que l'officier de logistique qui ne quitte presque jamais la base. Le lien est direct entre ce que les soldats vivent durant leur mission et les conséquences psychologiques à leur retour.