Arabie Saoudite - Ottawa aidera la famille du condamné à mort montréalais

Ottawa — Le gouvernement canadien aidera la famille du Montréalais Mohammed Kohail, condamné à la décapitation en Arabie saoudite, à interjeter appel de la décision. Ottawa met ainsi en vigueur sa politique du «cas par cas» lorsqu'il s'agit d'aider des citoyens faisant face à la peine de mort à l'étranger. L'opposition croit que cet arbitraire risque surtout de froisser le royaume saoudien et de compromettre les démarches en faveur du jeune homme.

«Nous aiderons la famille, a déclaré hier le ministre des Affaires étrangères, Maxime Bernier, à sa sortie de la Chambre des communes. Nous sommes très déçus de la décision des autorités saoudiennes. Alors, nous ferons de notre mieux pour obtenir une autre décision. Nous voulons avoir une décision qui respecte nos valeurs.»

M. Bernier a dit que lui, la secrétaire d'État aux Affaires étrangères, Helena Guergis, et le premier ministre s'étaient entretenus avec les autorités saoudiennes à cet égard.

Mohammed Kohail, 23 ans, a été condamné à la peine de mort par décapitation lundi à la suite du décès d'un jeune homme de 18 ans, Munzer Haraki. Selon la version des faits circulant hier, M. Haraki est décédé à la suite d'une altercation dans une cour d'école mettant en cause le jeune frère du condamné, Sultan Kohail, qui aura 17 ans cette semaine. La bagarre aurait éclaté après que Sultan Kohail eut insulté une jeune femme, Raneem Haraki, qu'il connaissait pour l'avoir fréquentée à une école musulmane de Montréal. Les deux jeunes hommes avaient été arrêtés au printemps 2007 à Djeddah. Sultan a été relâché en attendant son procès.

La situation est délicate car le gouvernement conservateur a choisi de ne plus demander la clémence de manière systématique pour les Canadiens condamnés à mort à l'étranger. Cette nouvelle politique a été dévoilée en octobre lorsque Ottawa a refusé d'intercéder en faveur de Ronald Allen Smith, menacé d'exécution pour un double meurtre. Dans le passé, le Canada aurait demandé que cette peine capitale soit commuée en peine d'emprisonnement à vie.

«Nous ne nous emploierons pas à demander la clémence dans les pays démocratiques, et en particulier aux États-Unis, où s'est tenu un procès équitable», avait expliqué un porte-parole du ministre Bernier. Cette déclaration avait été maintes fois répétée par le ministre de la Sécurité publique, Stockwell Day. Le ministre de la Justice, Rob Nicholson, avait avoué qu'il n'avait pas dressé de liste des pays considérés comme «démocratiques» et réputés tenir des «procès équitables», laissant la porte grande ouverte à l'arbitraire.

C'est ainsi que M. Bernier a justifié ses démarches hier. «Ce qu'on fait en Arabie saoudite, c'est un cas précis, c'est un cas d'espèce, c'est un cas unique et nous avons dit que nous allions évaluer les cas au cas par cas.» Il n'a pas voulu dire si le Canada demanderait la clémence puisque la sentence pourrait toujours changer en instance d'appel. «Il est trop tôt pour présumer de la décision du tribunal d'appel.»

Selon les partis d'opposition à Ottawa tout comme pour le groupe Amnistie internationale, le caractère arbitraire de la politique canadienne risque de porter ombrage aux démarches entreprises auprès de l'Arabie saoudite.

Selon le chef bloquiste Gilles Duceppe, «cela crée des impairs impardonnables. Parce que, imaginez l'Arabie saoudite! On lui dit: "Aux États-Unis ça va, mais pas chez vous, votre justice est moins bonne que la leur"».

Le libéral Dan McTeague, qui était responsable dans le gouvernement libéral de tous les cas de Canadiens emprisonnés à l'étranger, croit que le Canada s'est «peinturé dans le coin» et que le cas Kohail est le «cas témoin» de l'inefficacité de la politique conservatrice. «En prenant la décision d'intervenir, nous avons posé un jugement sur [la qualité du système de justice de] ce pays. Nous avons rendu cette situation très grave, très difficile au niveau consulaire.»

Alex Neve, le directeur d'Amnistie internationale au Canada, partage l'avis des députés. «Le Canada commence de bien mauvaise façon sa tentative d'établir un dialogue constructif et respectueux avec le gouvernement saoudien dans ce dossier.»

Dans une entrevue téléphonique avec le Globe and Mail en mai dernier, Mohammed Kohail avait affirmé avoir été victime de mauvais traitements. Il avait également dit qu'un policier l'avait poussé à signer des aveux, affirmant que c'était la seule façon pour lui de sortir de prison et qu'il ne risquait pas grand-chose puisque la victime présumée était encore vivante. Une fois les aveux signés, il avait été informé que la victime était morte et qu'il était accusé de meurtre. Les frères Kohail ont obtenu leur citoyenneté canadienne en 2005. Ils sont depuis retournés en Arabie saoudite, où ils ont grandi.

Un ami de la famille Kohail, Maurice Mansour, a indiqué en entrevue avec la Presse canadienne hier que cette dernière avait peu d'espoir que le verdict soit modifié en deuxième instance. «Le père ne croit pas qu'il en sortira grand-chose. Ce n'est pas comme s'ils étaient au Canada», a dit M. Mansour.

Notons que les avocats de Ronald Allen Smith se sont adressés à la Cour fédérale du Canada cette semaine pour forcer Ottawa à demander la clémence pour leur client. En refusant d'intervenir, le gouvernement canadien a, selon eux, «exprimé aux autorités américaines son indifférence face à son traitement et a accordé un appui tacite à la peine de mort».

Le Canada avait déjà des relations diplomatiques difficiles avec l'Arabie saoudite après qu'en 2000 un autre de ses ressortissants, William Sampson, eut été condamné à mort pour un crime qu'il avait été obligé de confesser. M. Sampson a finalement été libéré, mais il a toujours soutenu que le Canada l'avait mal défendu.

Avec Agence France-Presse et La Presse canadienne

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