L'affaire Cadman - Qui donc assurerait pour un million de dollars un cancéreux en phase terminale?

Ottawa — Est-il possible d'acheter une assurance vie d'un million de dollars à quelqu'un atteint d'un cancer en phase terminale? C'est la question que bien des gens se posent, alors que l'affaire Chuck Cadman continue de secouer le Parlement et de placer le Parti conservateur sur la défensive. Il semble qu'il serait difficile d'acheter une telle police, mais pas impossible, pour autant qu'on paye le gros prix. Le Parti libéral croit que c'est ce qui est arrivé.

Dona Cadman, la veuve du député indépendant Chuck Cadman, affirme que son mari s'est fait offrir une assurance vie d'un million de dollars par deux émissaires du Parti conservateur avant le vote crucial du 19 mai 2005. Les conservateurs désiraient que M. Cadman vote avec eux, ce qui aurait permis de renverser le gouvernement libéral de Paul Martin. Le député aurait été outré de cette offre, la repoussant du revers de la main. Il a finalement voté avec les libéraux et il est mort six semaines plus tard d'un cancer de la peau. La fille et le gendre de Chuck Cadman ont confirmé les dires de Dona Cadman.

Dans le camp conservateur, on estime que cette histoire ne tient pas la route parce que aucune compagnie n'aurait accepté d'octroyer une police d'assurance à un homme qui allait mourir quelques semaines plus tard.

À l'Association canadienne des compagnies d'assurance de personnes, on juge qu'il serait effectivement impossible d'acheter une telle assurance et de simplement payer les primes habituelles. «Si la personne est gravement malade ou en phase terminale, aucune entreprise ne va vouloir l'assurer. Il faut habituellement répondre à des questions sur notre santé ou alors passer des tests médicaux. Si la personne dit la vérité, c'est impossible», explique au Devoir Wendy Hope, vice-présidente aux relations extérieures de l'association.

Mais le Parti libéral estime que le Parti conservateur peut avoir fait une telle offre par un moyen détourné. «L'idée d'acheter une assurance vie normale pour quelqu'un qui va mourir ne fait pas beaucoup de sens», affirme au Devoir le député libéral Dominic Leblanc. «Mais si je vais voir une compagnie et que je dis vouloir une assurance vie d'un million et que je suis prêt à payer cette assurance à son plein prix, en plus des frais administratifs, je pense que l'entreprise va dire oui. Il n'y a aucun risque pour elle.»

Selon lui, il serait moins gênant pour le Parti conservateur d'utiliser une compagnie d'assurances pour transférer l'argent, comme une sorte de paravent, que de verser directement un million à la veuve de Chuck Cadman.

Légalement, rien n'interdit à une compagnie de vendre une police d'assurance au plein prix, mais il serait étonnant qu'une entreprise accepte de jouer le jeu, estime Gilles Bernier, titulaire de la chaire d'assurances et de services financiers de l'Université Laval. «Si on paye le plein tarif en plus des frais de gestion, je crois que c'est théoriquement possible. Mais il faudrait voir comment ça s'appliquerait dans la pratique. Le marché de l'assurance ne sert pas à ça. Je serais étonné qu'une entreprise accepte, ce serait mauvais pour sa réputation», dit-il.

Les libéraux évoquent une autre possibilité: un député possède une assurance vie fournie par la Chambre des communes et s'il quitte son siège, il peut transférer son assurance dans le secteur privé. Cette assurance vaut habituellement autour de 300 000 $. Par contre, les primes augmentent. «Les conservateurs ont peut-être offert à Cadman de combler la différence entre les primes et ce qu'il devait recevoir», dit Dominic Leblanc.

Les conservateurs ont continué d'affirmer hier que jamais ils n'ont offert cette assurance vie à Chuck Cadman. Le PC aurait seulement offert à M. Cadman de porter la bannière conservatrice lors des prochaines élections et de l'aider financièrement pour sa campagne. Chuck Cadman a lui-même confirmé cette version le jour du vote, le 19 mai 2005. Mais sa femme et sa fille affirment qu'il ne voulait pas parler de l'assurance vie publiquement à l'époque.

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