Le Canada reprend le transfert de détenus aux Afghans
Ottawa — Les Forces armées canadiennes ont confirmé, hier, la reprise du transfert des détenus aux autorités afghanes, une décision qui a rapidement suscité la réplique des groupes de défense des droits de la personne.
À peine l'armée avait-elle annoncé la nouvelle qu'Amnistie internationale Canada et l'Association canadienne pour les libertés civiles de la Colombie-Britannique présentaient à la Cour fédérale une demande d'injonction pour interdire les transferts.Les deux groupes estiment que l'armée et le gouvernement du Canada n'ont pas pris les mesures suffisantes pour éliminer tout risque de torture.
Mais l'armée canadienne soutient qu'elle a pris sa décision de mettre un terme au moratoire sur les transferts de prisonniers parce qu'elle est satisfaite des changements apportés au système carcéral afghan au cours des derniers mois. Les Forces armées assurent qu'elles étudieront de près chaque cas avant de permettre qu'un prisonnier soit transféré aux autorités afghanes.
«Les gestes posés par le gouvernement de l'Afghanistan et par les représentants canadiens pour répondre aux inquiétudes ont sérieusement été pris en compte», a expliqué à Kandahar le lieutenant-colonel Grant Dame, chef d'état-major de la Force opérationnelle interarmées en Afghanistan, qui a confirmé la nouvelle.
Le gouvernement a, notamment, investi 1,5 million de dollars pour améliorer les conditions de détention dans des prisons. Les procédures de suivi des prisonniers ont aussi été renforcées. Devant cette réalité, l'armée croit que les transferts peuvent reprendre.
Les changements apportés au cours des derniers mois aux prisons afghanes et au suivi à donner sont toutefois loin d'être suffisants aux yeux d'Amnistie internationale, qui craint encore les risques de torture.
«Ce sont des améliorations positives, mais nous ne sommes pas rendus au point de pouvoir affirmer que le risque de torture dans les prisons afghanes est disparu», a fait valoir le secrétaire général d'Amnistie internationale Canada, Alex Neve.
Il souligne que les pratiques douteuses dans les prisons afghanes ne datent pas d'hier et qu'elles ne peuvent disparaître en l'espace de quelques semaines.
En novembre dernier, le gouvernement canadien s'était retrouvé dans l'embarras à la suite d'allégations de torture sur des insurgés afghans qui avaient été capturés par des soldats canadiens.
Au moins un cas précis avait soulevé de sérieuses préoccupations chez des représentants du gouvernement du Canada. Sans en souffler mot publiquement, les Forces armées avaient alors suspendu les transferts.
Ce gel des transferts a été révélé beaucoup plus tard, en janvier, avant le début de l'audition de la première demande d'injonction d'Amnistie et de l'Association des libertés civiles.
Le 7 février dernier, la juge Anne MacTavish de la Cour fédérale rejetait la demande d'injonction, la considérant inutile étant donné que les transferts de prisonniers étaient suspendus.
Elle soulignait dans son jugement qu'une autre demande pourrait être soumise si les transferts reprenaient. La juge y faisait part aussi de ses sérieuses préoccupations quant au traitement des prisonniers et à la façon dont le gouvernement y a répondu par le passé.
En entrevue à la télévision de Radio-Canada, le ministre des Affaires étrangères, Maxime Bernier, a fait valoir que les Forces armées ont bien évalué la situation avant de prendre leur décision.
«S'il y a un problème, les militaires canadiens ont toutes les autorités pour cesser de nouveau le transfert des détenus», a expliqué le ministre.
Il souligne de plus que l'armée a consulté le ministère des Affaires étrangères. «Mon ministère à moi, le ministère des Affaires étrangères, a donné un avis disant qu'on pouvait recommencer le transfert», a indiqué M. Bernier.
Les partis d'opposition ne se disent pas rassurés pour autant.
«Il n'y a aucune garantie supplémentaire qui nous a été donnée de la part du gouvernement sur la façon dont les autorités afghanes vont traiter le transfert de prisonniers», a soutenu le leader parlementaire du Bloc québécois, Pierre Paquette.