La droite religieuse se réjouit du retour d'une forme de censure d'État

Ottawa — Le gouvernement Harper estime que les nouvelles règles de Patrimoine canadien qui empêcheront le financement public de certains films jugés «offensants» et contraires à «l'ordre public» sont tout à fait appropriées. La droite religieuse, qui a fait du lobbying intense auprès des libéraux et des conservateurs pour que ces nouvelles règles «morales» voient le jour, se réjouit de la situation.

Le projet de loi C-10, qui est rendu à la dernière étape au Sénat, contient une disposition qui permet à Patrimoine canadien de ne plus financer des productions cinématographiques et télévisuelles contenant des scènes jugées con-traires à l'ordre public. Les productions pourraient continuer d'exister, mais on ne leur accorderait pas de fonds publics.

Hier, le député conservateur Pierre Poilièvre, qui parlait au nom du gouvernement dans ce dossier, a soutenu que cette nouvelle mesure était appropriée. «Ce type de mesure existe déjà pour les livres et les magazines, on fait seulement l'étendre au cinéma. C'est très raisonnable.» Selon lui, ce n'est pas de la censure, puisque les films ne seront pas bannis du territoire. «Ça vise seulement à garantir que l'argent public ne finance pas des films trop violents, à caractère pornographique ou raciste. On n'interdit rien, mais on refuse le financement, c'est tout», dit M. Poilièvre. Il ajoute: «Les gens vont continuer à voir les mêmes films au cinéma et dans les festivals. Ça va toucher seulement une petite minorité de films.» Jeudi, une fonctionnaire de Patrimoine canadien avait fourni la même explication.

Mais les artistes ne l'entendent pas ainsi. L'Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec (ARRQ) estime qu'il s'agit de censure. «À l'instar de toutes les voix qui s'élèvent contre cette éventuelle censure, nous rappelons que le Canada est une démocratie possédant les instruments juridiques et les chartes nécessaires pour faire obstacle à ce qui menacerait le bien public. Les mesures en question nous ramèneraient un siècle en arrière, au moment où l'Église et l'État s'ingéraient directement dans la vie publique et privée des citoyens et des créateurs», a soutenu son président, Jean Pierre Lefebvre, dans un communiqué de presse. Le célèbre réalisateur David Cronenberg a aussi fait une sortie en règle contre la nouvelle loi.

Ce projet de loi, qui est de nature financière et qui émane du ministère des Finances, a passé toutes les étapes à la Chambre des communes et au Sénat avant qu'un avocat de Toronto ne remarque cette disposition particulière cette semaine. Visiblement, les partis politiques n'avaient pas compris que ce petit paragraphe de la loi permettrait de contrôler le financement des films selon des critères moraux.

Hier, le NPD et le Bloc québécois n'ont pas exclu de modifier la loi pour retirer cette latitude aux fonctionnaires de Patrimoine canadien. Les sénateurs, qui ont actuellement le projet de loi entre les mains, se pencheront sur ce sujet dès la semaine prochaine. Cette loi a été mise en branle en 2003, sous un gouvernement libéral. Dans le camp conservateur, on souligne à gros traits que le projet de loi n'a pas été modifié depuis son entrée en scène sous le règne libéral.

La droite religieuse heureuse

Une puissante coalition qui représente la droite religieuse au pays se réjouit de voir que le gouvernement conservateur bouge dans ce dossier.

Lors d'une entrevue avec Le Devoir, Charles McVety, président de la Canada Family Action Coalition, a affirmé qu'il a fait d'énormes pressions pour que ces nouvelles règles voient le jour. «Les libéraux disaient être d'accord avec le fait qu'il faut arrêter de financer des films offensants, mais ils ne faisaient rien. Les conservateurs sont allés jusqu'au bout. Il faut maintenant que les provinces, qui financent aussi des films, en fassent autant.»

Selon lui, ce n'est pas un droit de voir son film financé par l'argent public. «On finance n'importe quoi maintenant. Des films violents, des films qui encouragent les jeunes à devenir homosexuels, des films qui montrent des orgies ou des gens qui couchent avec des morts. Ça n'a plus de sens», dit Charles McVety, dont la coalition représente 40 000 membres. Selon lui, les gens vont «applaudir» aux nouvelles mesures morales.

Un film comme Kissed (1996), qui met en scène une étudiante qui couche avec des morts, aurait été banni du financement public grâce aux nouveaux critères, selon Charles McVety. Même chose pour Young People Fucking, qui doit sortir sur nos écrans ce printemps. Le film met en scène des «orgies», selon la coalition qui défend les valeurs familiales.

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