Secteurs manufacturier et forestier: Ottawa recule
Ottawa — Le gouvernement conservateur change d'avis. Le plan d'aide d'un milliard de dollars destiné aux secteurs manufacturier et forestier ne sera finalement pas conditionnel à l'adoption du prochain budget. Une initiative parlementaire sera déposée dès cette semaine pour acheminer le plus vite possible l'argent aux provinces, et son passage est assuré puisque le Parti libéral s'est engagé à l'appuyer.
Les travailleurs d'usine et de la forêt ne feront donc pas l'objet d'une campagne électorale, comme le craignaient les partis d'opposition à Ottawa. Après avoir soutenu à tort pendant des semaines que cela était impossible, les troupes conservatrices découvrent qu'il est après tout faisable de verser des sommes imprévues sans attendre un budget annuel.«Notre gouvernement a écouté les provinces, de même que le premier ministre [Jean] Charest, et nous déposerons sous peu la Fiducie pour le développement communautaire au terme d'un projet de loi distinct», a déclaré en Chambre des communes le ministre des Transports et des Collectivités, Lawrence Cannon.
En janvier, le premier ministre Stephen Harper avait annoncé l'octroi d'un milliard de dollars aux provinces pour aider les collectivités durement affectées par les fermetures d'usines et de scieries. Au lieu de recevoir des remerciements, le gouvernement conservateur a été vivement critiqué, notamment par M. Charest et son homologue ontarien Dalton McGuinty, pour avoir rendu cette offre conditionnelle à l'adoption du budget attendu pour la fin février ou la mi-mars.
Ce budget fera l'objet d'un vote de confiance que les conservateurs ne sont pas assurés de remporter compte tenu du fait que ni le Bloc québécois ni le NPD ne les appuie plus et que le Parti libéral voit ses intentions de vote dans les sondages augmenter légèrement. Les milieux manufacturier et forestier craignaient que le milliard ne se perde dans les limbes d'une campagne électorale hautement partisane.
C'est d'ailleurs pour cette raison que le gouvernement a reculé, admet le ministre responsable du développement régional, Jean-Pierre Blackburn. «Je demandais au Bloc québécois s'ils allaient appuyer ou non le budget, et on voit bien par leur silence qu'ils n'avaient pas l'intention d'appuyer le budget. Alors, dans les circonstances, on se doit d'agir en gouvernement responsable. C'est pour ça qu'on va déposer la loi, pour être sûrs.»
Le gouvernement déposera ce projet de loi demain, ou dès aujourd'hui si les trois partis d'opposition consentent à accélérer le processus parlementaire habituel. «Il faut le consentement unanime des partis d'opposition pour amener cette motion au vote plus rapidement. On espère l'avoir», a expliqué une source gouvernementale. Le projet de loi pourra être modifié par l'opposition, mais pas de façon à augmenter la valeur totale de l'aide.
Le milliard assuré
L'adoption du projet de loi est assurée puisque le chef libéral Stéphane Dion a dit vouloir l'appuyer, à moins qu'il ne contienne de «mauvaises surprises ou des pilules empoisonnées». «On va prendre le milliard qui passe, certainement! Nos travailleurs et familles en ont besoin, ils en ont besoin tout de suite», a-t-il dit hier après-midi. Le chef libéral s'est fait un devoir de rappeler que le gouvernement de Paul Martin avait promis avant l'élection de 2005 «un plan de 1,5 milliard que le gouvernement conservateur a coupé dès qu'il est arrivé au pouvoir».
Le Bloc québécois, quant à lui, attend de voir le projet de loi avant de se prononcer. Le parti ne digère toujours pas le mode de répartition de la somme. Ottawa a choisi de partager le milliard selon le poids démographique de chaque province sans prendre en compte l'importance de l'industrie manufacturière et forestière qu'elles abritent (ou pas). Ainsi, le Québec recevra 217 millions et l'Ontario près du double, contre environ 100 millions pour l'Alberta, pourtant peu affectée par la crise. Pourtant, avec environ 300 000 emplois perdus, l'Ontario et le Québec ont épongé environ 91 % de toutes les pertes d'emplois dans le secteur de la fabrication... Et à cause de la somme forfaire de 10 millions accordée à chaque province, la petite Île-du-Prince-Édouard, avec 135 000 habitants, touchera environ 14 millions, une proportion du total disponible trois fois plus élevée que son poids démographique.
Le chef bloquiste, Gilles Duceppe, entend «bonifier» ce plan. Au moment de mettre sous presse hier soir, on ne savait toujours pas si ce genre de modification, changeant la formule de partage, serait jugé acceptable.
«Ce n'est pas suffisant, mais c'est un commencement, a pour sa part indiqué le chef du NPD, Jack Layton. On préfère avoir cette aide que non. [...] Nous sommes heureux que le gouvernement ait cessé son chantage.»
Un budget décisif
Au moment du dévoilement de son plan d'aide, l'entourage du premier ministre refusait obstinément de séparer cette aide du prochain budget, allant même jusqu'à prétendre que c'était la seule façon de dépenser des fonds imprévus.
Encore la semaine dernière, le ministre Cannon raillait son opposant néo-démocrate Thomas Mulcair qui lui demandait de verser l'argent immédiatement. «Mon honorable collègue qui a aussi siégé à l'Assemblée nationale doit savoir que lorsqu'il s'agit d'appropriation de nouveaux montants d'argent, on doit suivre un processus. Ce processus se nomme le budget», avait lancé M. Cannon.
La porte est désormais toute grande ouverte pour défaire le gouvernement conservateur au prochain budget compte tenu du fait que les partis d'opposition n'auront pas à assumer la responsabilité de la mort du plan d'aide. Un sondage Unimarketing effectué pour La Presse indique que conservateurs et libéraux sont à égalité au pays avec 33 % des intentions de vote chacun. La marge d'erreur est de 2,7 %, 1 fois sur 20.
Avec la collaboration d'Alec Castonguay