Montréal vaincra-t-il le ralenti inutile?

Montréal, première ville au Québec à réglementer de façon relativement serrée les émissions polluantes des véhicules laissés au ralenti sur son territoire, a un gros problème: un grand nombre des modèles de démarreurs à distance vendus sur son territoire ou dans les environs n'éteignent pas les moteurs après les trois minutes légalement autorisées.
Au Québec, selon une enquête du Print Measurement Bureau (PMB), une voiture sur dix a été équipée l'an dernier d'un démarreur à distance, et presque tous ces appareils peuvent dépasser les trois minutes légalement autorisées dans la métropole. Ailleurs au Québec, c'est la liberté de polluer la plus totale.Le règlement que Montréal commence à appliquer ces jours-ci — même s'il a été adopté il y a environ un an — est contesté par des chercheurs et des écologistes, qui estiment qu'il faudrait aller jusqu'à interdire le fonctionnement des voitures au ralenti s'il n'y a aucun passager à bord. Pour être efficace, cette mesure devrait être assortie d'une interdiction d'utiliser les démarreurs à distance, des appareils qui incitent les automobilistes à réchauffer leur véhicule en faisant fonctionner le moteur au ralenti au lieu de le brancher, d'équiper leurs sièges de housses en tissu ou d'utiliser des sièges chauffants, beaucoup moins dommageables pour le climat.
Peu de gens savent, hormis les chimistes et les écologistes, que les convertisseurs catalytiques des voitures modernes émettent, à froid, du protoxyde d'azote, un des six gaz à effet de serre réglementés par le protocole de Kyoto parce que chaque molécule de ce gaz contribue au réchauffement du climat comme le font 320 molécules de gaz carbonique. En somme, chaque minute de ralenti à froid contribue autant au réchauffement du climat qu'une voiture fonctionnant au ralenti qui cracherait des oxydes d'azote pendant cinq heures et 20 minutes. De ce point de vue, les trois minutes légalement autorisées par le nouveau règlement adopté par Montréal légalisent des rejets équivalents à ceux d'une voiture dont le moteur tournerait au ralenti pendant 16 heures!
C'est pourquoi André Bélisle, président de l'Association de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA), estime que Québec devrait interdire le ralenti inutile à froid ainsi que la vente et l'installation des démarreurs à distance qui facilitent cette pratique. À son avis, cette seule mesure pourrait réduire énormément la contribution du parc automobile québécois au réchauffement du climat sans vraiment pénaliser les automobilistes. Le problème va d'ailleurs en s'aggravant car, a expliqué M. Bélisle, de plus en plus d'automobilistes utilisent leur démarreur à distance en été pour tempérer l'habitacle de leur voiture, ce qui génère aussi du protoxyde d'azote.
Si une personne utilise son démarreur à distance trois minutes deux fois par jour pendant les 60 jours les plus froids de l'hiver et les 60 journées les plus chaudes de l'été, ses rejets d'oxyde d'azote se retrouvent multipliés par 320, atteignant ainsi des valeurs hallucinantes. Personne, y compris au laboratoire d'Environnement Canada à Ottawa, n'a encore osé chiffrer la contribution additionnelle de cette pratique du ralenti inutile des moteurs de voitures au réchauffement du climat, malgré les règles de comptabilité des émissions imposées par le protocole de Kyoto.
En effet, ce calcul est très complexe à établir, a expliqué Michel Souligny, un spécialiste du laboratoire fédéral, car il faudrait établir des équivalences en CO2 très précises ainsi que la durée moyenne du réchauffement inutile par voiture sur une base annuelle, autant de données que le Canada n'a pas cherché à obtenir à ce jour. Même chose du côté québécois, selon une source gouvernementale bien informée, et ce, malgré l'obligation que s'est donnée Québec de comptabiliser ses émissions selon les règles de Kyoto.
Selon certains scénarios qui n'ont cependant pas été validés, la pratique régulière du ralenti à froid sur de longues périodes pourrait presque doubler la contribution d'une voiture au réchauffement du climat. Un convertisseur catalytique doit atteindre une température qui se situe entre 475 et 600 °F, selon les modèles, pour cesser de produire du N2O (protoxyde) avec les molécules de NO2, qu'il est censé déstructurer en éléments inoffensifs. Non seulement le N2O, ou protoxyde d'azote, est 320 fois plus nocif que le CO2 pour le climat, il contribue aussi beaucoup au smog urbain avant de grimper dans la haute atmosphère, où il favorise la destruction de la couche d'ozone.
Allan de Sousa, membre du comité exécutif de la Ville de Montréal et responsable de l'environnement, constate avec inquiétude que la plupart des démarreurs à distance vendus à Montréal dépassent les trois minutes autorisées par le nouveau règlement sur la circulation. La plupart des modèles sont ajustables, donc capables de dépasser la limite légale. Il estime qu'il serait beaucoup plus efficace d'avoir une norme provinciale qui fermerait la porte aux échappatoires. Plusieurs ateliers qui installent des démarreurs à distance, a dit M. de Sousa, «vont induire les automobilistes en erreur et les placer en situation de contrevenir à la réglementation municipale. J'invite ces compagnies à faire les ajustements qui s'imposent pour que leurs produits respectent le règlement en vigueur à Montréal. C'est une question de responsabilité des entreprises».
Le règlement sur le ralenti inutile, adopté l'an dernier, s'est avéré inopérant parce que, défini comme une «nuisance», les policiers devaient remettre les contraventions en mains propres. Le 3 février dernier, a précisé Natacha Beauchesne, de la Ville de Montréal, aucune contravention n'avait encore été enregistrée à la Cour municipale de Montréal.
«Mais les choses vont changer rapidement, a promis Allan de Sousa, parce que 15 des 18 arrondissements de Montréal ont réinscrit l'ancien règlement dans celui sur la circulation, ce qui permettra aux policiers, aux agents de stationnement et aux inspecteurs de sécurité de la Ville de distribuer des contraventions à tous ceux qui dépassent les trois minutes légales sans être dans leur voiture. Les premières contraventions ont commencé à être épinglées dans les pare-brise, la Ville passant à la coercition après les campagnes de sensibilisation.»
Le règlement prévoit une première amende de 50 $ pour les personnes physiques et de 100 $ pour les personnes morales, des montants qui doubleront en cas de récidive. Allan de Sousa n'exclut pas non plus de modifier ultérieurement le règlement actuel, soit pour raccourcir les trois minutes de ralenti légal, soit, tout simplement, pour interdire le ralenti des véhicules s'il n'y a personne à l'intérieur. Il attend de voir comment évolueront le comportement des automobilistes, l'opinion publique et les politiques de Québec.
Le règlement actuel permet de laisser tourner une voiture au ralenti pendant plus de trois minutes s'il y a quelqu'un à bord et si le froid dépasse les -10 °C en intensité. Les services d'urgence, les taxis avec au moins une personne à l'intérieur, les véhicules transportant des aliments congelés, les véhicules blindés, ceux fonctionnant à l'hydrogène ou en mode hybride ainsi que les véhicules affectés par le verglas sont dispensés de cette règle.
Chez un installateur comme Lebeau Vitres d'auto, le vice-président, Serge Laporte, a précisé que cette société a été la première à offrir cet hiver un démarreur à distance qui s'arrête après trois minutes si la température est inférieure à -10 °C grâce à une sonde thermique sans équivalent sur le marché. Ce démarreur permet cependant un ralenti pouvant aller jusqu'à 16 minutes par très grand froid, ce qui est contraire au règlement de Montréal. M. Laporte a indiqué que sa société n'hésitera pas à s'ajuster à la nouvelle réglementation si Montréal prend la peine de l'informer de ses exigences. Mais il a dit espérer que les constructeurs automobiles et les autres ateliers d'installation en feront autant, car la plupart des modèles de démarreurs permettent de dépasser la norme montréalaise, même par temps doux.
Par très grand froid, ont expliqué André Bélisle, de l'AQLPA, et Michel Souligny, à Ottawa, le convertisseur catalytique peut émettre du protoxyde d'azote pendant 15, 20, voire 30 minutes en continu parce que le bas régime du moteur ne produit pas assez d'explosions pour hausser sa température au seuil de fonctionnement normal.
Roxanne Héroux, du CAA Québec, a affirmé la même chose que tous les écologistes et les spécialistes en chimie ou en mécanique ont affirmée au Devoir: un moteur n'a pas besoin de plus de 20 à 30 secondes de réchauffement au ralenti — le temps nécessaire au réchauffement des bougies et des valves — pour entrer dans la circulation. En réchauffement hivernal, une voiture s'use autant qu'en 800 kilomètres sur la route, a ajouté Mme Héroux: les automobilistes ont intérêt à utiliser immédiatement leur voiture pour permettre au moteur d'atteindre son niveau de performance environnementale et mécanique en deux ou trois minutes. Tout prolongement indu multiplie d'autant le degré d'usure, a-t-elle conclu.