Sélection des juges - L'ex-juge Claire L'Heureux-Dubé dénonce l'américanisation du système judiciaire

Ottawa — Entouré de représentants de la police, le ministre fédéral de la Justice, Rob Nicholson, a défendu hier les nouveaux comités de sélection des juges et assuré qu'il ne préparait pas de plan machiavélique secret comme l'en accusent ses adversaires politiques. Mais au même moment, une voix apolitique supplémentaire s'est élevée contre la réforme conservatrice: celle de l'ex-juge de la Cour suprême du Canada, Claire L'Heureux-Dubé.

Selon l'ancienne juge, qui a pris sa retraite obligatoire du plus haut tribunal du pays en 2002, les récentes modifications apportées par Ottawa aux comités de sélection et surtout la nomination sur ces comités d'amis du Parti conservateur «biaise[nt] le système», écrit-elle dans un courriel envoyé au Devoir.

«Changer la composition de ces comités en y nommant, en majorité, des membres partisans et dont l'idéologie va de pair avec celle du gouvernement de l'heure biaise le système et va à l'encontre non seulement de notre tradition d'indépendance de la magistrature mais y introduit un élément, à mon avis très pernicieux, celui de l'idéologie du candidat. C'est justement ce que l'on déplore du système de nominations américain. C'est tout simplement désastreux.»

L'ex-juge rappelle que ces comités avaient été créés dans les années 80 pour «dépolitiser les nominations en assurant l'impartialité, l'intégrité et la compétence des membres de ces comités».

Cet automne, Ottawa a nommé un huitième membre, issu des corps policiers, à chacun des 13 comités régionaux de sélection des juges. Pour éviter les votes sans majorité, le représentant de la magistrature a perdu son droit de vote. Résultat: ce sont les membres nommés par le gouvernement qui détiennent désormais la majorité. Or, le Globe and Mail a révélé cette semaine qu'une majorité de ces membres ont des liens étroits avec le Parti conservateur, certains ayant été candidats, d'autres ayant travaillé pour des ministres à l'époque de Brian Mulroney.

Le ministre Nicholson a imploré ses critiques de donner une chance aux nouveaux comités de prouver qu'ils peuvent faire un travail sérieux de sélection des juges. «Attendons de voir comment ils fonctionneront», a-t-il dit au cours d'un point de presse auquel il s'est présenté accompagné de deux représentants du monde policier. «Je dis: regardons les individus qui seront nommés au terme de ce processus.» Les comités de sélection recommandent des candidatures pour les postes de juge, mais c'est le ministre qui a le dernier mot pour les nommer ou non. Au Parlement, le ministre s'est dit «absolument engagé envers une magistrature impartiale».

Tony Cannavino, le président de l'Association canadienne de la police professionnelle, a réclamé «un an» de clémence pour prouver que les policiers ont un rôle légitime à jouer. «On va démontrer avec les comités que nos représentants policiers vont faire un excellent travail, a-t-il dit. Ils sont dédiés et n'ont pas de préjugés, et ce qu'ils vont rechercher, ce sont les meilleurs candidats à recommander.»

Hier encore, la période de questions à la Chambre a largement porté sur le mode de nomination des juges. Le premier ministre Stephen Harper, qui répondait pour la première fois aux allégations de partisanerie, a déclaré: «Bien sûr que ces comités sont indépendants. Le gouvernement n'en nomme même pas tous les membres.» Puis il a utilisé un exemple pour illustrer que les nominations partisanes de juge étaient courantes sous les libéraux. «Si le chef du Parti libéral se demande pourquoi nous voulons changer le processus, alors qu'il sache qu'en 2002 son gouvernement avait nommé l'épouse du directeur de campagne du PLC au poste de juge en chef de la Cour supérieure d'Ontario.»

À voir en vidéo