Une loi antibriseurs de grève mettrait l'économie en péril, dit Blackburn

Jean-Pierre Blackburn a dit craindre les conséquences désastreuses pour l’économie canadienne de l’adoption d’une loi anti-scabs.
Photo: Agence Reuters Jean-Pierre Blackburn a dit craindre les conséquences désastreuses pour l’économie canadienne de l’adoption d’une loi anti-scabs.

Coincé par des partis d'opposition déterminés à faire adopter leur projet de loi antibriseurs de grève avant les prochaines élections, le ministre du Travail, Jean-Pierre Blackburn, a sorti l'artillerie lourde hier en comité parlementaire, accusant l'opposition de «menacer l'économie canadienne» et de vouloir «paralyser» le pays. Un discours alarmiste et sans fondement, ont répliqué les députés de l'opposition.

Ottawa — Le bras de fer a beau se dérouler loin des caméras, dans une petite salle de comité parlementaire à Ottawa, il n'en est pas moins important. Depuis que le Bloc québécois a réussi à faire franchir la première étape à son projet de loi C-257, qui vise à empêcher le recours aux briseurs de grève lors d'un conflit relevant de la compétence fédérale, syndicats et patrons se livrent une bagarre de tous les instants. Les communiqués se presse se multiplient, les députés fédéraux reçoivent des lettres, des courriels, des coups de téléphone...

C'est parce que l'enjeu est de taille. Si cette loi, appuyée par tous les partis d'opposition, est adoptée, les entreprises régies par le Code canadien du travail ne pourront plus utiliser des travailleurs de remplacement pendant un conflit de travail. Une modification qui toucherait un million d'employés oeuvrant dans les secteurs des télécommunications (médias électroniques, câblodistributeurs), des banques, des transports (routier, maritime, ferroviaire, aérien), ainsi que dans les aéroports et les ports.

Selon le ministre du Travail, qui témoignait hier devant le comité qui étudie le projet de loi, adopter une telle législation serait «une menace à l'économie canadienne» et briserait «l'équilibre» qui règne actuellement. Selon lui, le recours aux travailleurs de remplacement (souvent appelés scabs) est vital. «À partir du moment où vous ne pouvez plus utiliser les travailleurs de remplacement, s'il y a une grève, tout peut arrêter.» Selon lui, la modification apportée au Code canadien du travail en 1999 permet un «équilibre» qu'il est dangereux de briser.

«À partir du moment où l'on vient modifier le Code et qu'on ne permet plus l'utilisation des travailleurs de remplacement, on brise l'équilibre. On donne dans les mains d'un seul parti [le syndicat] un pouvoir extrêmement grand, qui ne menace pas la sécurité des personnes, mais qui vient menacer l'économie canadienne. L'impact serait énorme. [...] N'importe quel groupe peut complètement paralyser l'économie du pays», a dit Jean-Pierre Blackburn, qui prend ainsi le parti des groupes patronaux et des chambres de commerce. Selon le ministre, les députés de l'opposition cèdent devant les syndicats.

Depuis 1999, 19 plaintes ont été logées en raison d'un problème avec les travailleurs de remplacement au niveau fédéral. Or 14 d'entre elles ont été retirées avant même une décision, ce qui prouve que tout va bien, a dit Jean-Pierre Blackburn. «Vous devez rejeter ce projet de loi, il n'a pas de bon sens!», a lancé le ministre aux députés. Il a aussi interpellé Stéphane Dion. «Je fais appel au leadership du nouveau chef pour ramener les choses à l'ordre. La récréation est finie», a-t-il dit.

L'exemple du Québec

Un «discours alarmiste» qui n'a pas de raison d'être, ont immédiatement répliqué les partis d'opposition. «Il va trop loin. Quand on est rendu là, c'est qu'on n'a pas beaucoup d'arguments. Ça veut dire qu'on est à la remorque des groupes de pression. C'était le bonhomme sept heures ce matin!», a lancé le libéral Denis Coderre.

Le Bloc québécois et le NPD ont affirmé que les exemples du Québec et de la Colombie-Britannique, qui ont des lois antibriseurs de grève, montrent qu'il n'y a pas de catastrophe à l'horizon. «C'est irresponsable de dire que l'économie canadienne va être paralysée avec une telle loi. Il n'y a aucune preuve pour dire ça», a déclaré la néo-démocrate Libby Davies.

Mais, selon le ministre, un secteur comme le transport touche tout le pays et n'a pas une incidence strictement locale, ce qui en fait un secteur plus névralgique que ceux qui relèvent de la compétence des provinces. «Et la santé? Et la sécurité publique ? Ce n'est pas important?», a répliqué le Bloc.

«Il n'y a justement aucun concept de service essentiel dans votre projet de loi», alors qu'il y en a dans les provinces, a rétorqué le ministre Blackburn. Alors, pourquoi ne pas amender le projet de loi ou en déposer un nouveau pour créer des services essentiels au niveau fédéral?, a répliqué le NPD.

Le Parti libéral s'est dit ouvert à un tel ajout, alors que le Bloc québécois est plus tiède, même s'il ne lui ferme pas la porte. «Une section du projet de loi stipule que les cadres et les administrateurs d'une compagnie peuvent prendre la place des employés, comme au Québec. C'est assez, je pense. S'il y a un amendement concernant des services essentiels, ce sera sur la santé et la sécurité des gens, pas sur la sécurité économique du pays. Un briseur de grève, c'est un troisième joueur qui vient empêcher le vrai rapport de force. Si on crée des services essentiels autour du concept de sécurité économique, on enlève le rapport de force», explique la porte-parole du Bloc, Carole Lavallée.

Mais, selon Jean-Pierre Blackburn, il faut carrément «jeter ce projet de loi et en refaire un autre, s'il le faut». «Pas question», ont répliqué les partis d'opposition. L'étude du projet de loi se poursuit.

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