Martin lance un appel à l'unité

Ne répétez pas les erreurs du passé, seulement les bons coups. C'est l'essence du message que l'ex-chef libéral Paul Martin a livré hier soir aux militants à l'occasion de la cérémonie d'adieux organisée en son honneur. Il a exhorté les troupes, qui choisiront son successeur demain, à rester unies et à perpétuer la tradition libérale de compassion, et en a aussi profité pour répliquer à ses critiques qui lui avaient reproché son éparpillement.
«Vous êtes venus à Montréal pour soutenir différents candidats, a lancé M. Martin devant une foule d'environ 250 000 personnes. Vous pouvez être très fiers d'eux. Ils sont unis par les mêmes valeurs et motivés par le même désir de faire du Canada un pays encore meilleur. Nous devons tous partir d'ici unis sous la bannière libérale.»M. Martin a même poussé plus loin en faisant l'éloge de son éternel rival et prédécesseur. Rappelant qu'en 1993 «le pays voulait que ça change», M. Martin a déclaré: «Jean Chrétien a été l'artisan de ce changement et je suis fier d'avoir été l'un de ses ministres.» Les deux hommes se sont fait la guerre pendant plus de 10 ans et leur inimitié a créé un schisme dont le parti tente, avec la présente course au leadership, de se relever.
M. Martin a aussi défendu son court passage à la tête du pays. À ceux qui lui ont reproché de n'avoir pas su choisir parmi ses mille et une priorités, il répond ceci: «Certains disent que nous avons essayé d'en faire trop. Pour ma part, je préfère avoir essayé d'en faire trop que de me sentir coupable d'un manque de générosité. Nous avons peut-être perdu les dernières élections, mais nous n'avons jamais perdu la foi qui nous anime.»
Le discours du chef sortant a clotûré la cérémonie animée par le médaillé olympique Mark Tewkesbury. Les militants ont eu droit à un mélange d'hommages de politiciens, sketchs humoristiques et prestations artistiques dont celle, très appréciée de la foule, de la soprano Nathalie Choquette.
Vivement les congrès!
Plus tôt dans la journée, les militants libéraux ont choisi de perpétuer la tradition en conservant le mode actuel de sélection de leur leader avec tractations de coulisses et grands ralliements à la clé. Il s'agit, et de loin, du débat ayant le plus éveillé les passions jusqu'à présent, la plupart des nouvelles orientations du parti ayant été adoptées sans débat, dont celle qui reconnaît l'existence d'un déséquilibre fiscal avec les provinces.
Le Parti libéral du Canada se proposait de modifier sa constitution afin de permettre à chacun de ses membres de voter directement pour le chef de son choix (par la poste, par téléphone ou par Internet) lors d'une course au leadership. On voulait se débarrasser du système actuel en vertu duquel les militants élisent plutôt des délégués qui eux se rendent au congrès et choisissent un chef. Le PLC est le seul parti politique fédéral à avoir conservé cette formule de votation. Plus lourde à gérer (chaque aspirant chef doit recruter des délégués à travers le pays et entretenir leur loyauté pendant toute la durée de la campagne), elle produit toutefois des congrès beaucoup plus excitants et plus imprévisibles.
Les libéraux ont donc décidé de conserver cette formule, non sans déchirement. Les deux tiers de l'assemblée devaient appuyer la réforme pour que celle-ci entre en vigueur. Elle n'a même pas obtenu 50 %. Elle a été battue à 318 voix contre 299.
Dans le clan de ceux qui appuyaient la réforme, on retrouvait beaucoup de députés. Jean Lapierre, Belinda Stronach, Keith Martin, David McGuinty et Mark Holland ont tous parlé en faveur du changement. «Le coût des congrès avec délégués est trop élevé, même démesuré pour le Canadien moyen», a expliqué M. McGuinty. Les militants ont déboursé 995 $ pour participer au congrès montréalais cette semaine, sans compter le prix de l'hôtel et des repas. M. Holland a fait valoir que les politiciens comptaient sur les militants de la base pour se faire élire et qu'il fallait «leur donner des pouvoirs» en retour.
Du côté des tenants du statu quo, on en trouvait de tous les âges. Ainsi, Mike Burton, un jeune de Regina, n'y est pas allé par quatre chemins pour exprimer son profond désaccord avec la réforme proposée. «S'il s'agit d'épargner l'argent du parti, alors je propose que l'on coupe dans les cochonneries superflues de nos congrès, a-t-il lancé sous un flot d'applaudissements enthousiastes. Nous n'avons pas besoin d'inviter des politiciens américains ou des rock stars européennes pour venir nous dire comment être de bons politiciens.» Le PLC a invité Howard Dean, le président du comité national du Parti républicain américain, comme conférencier-vedette et organisé deux spectacles musicaux de grande envergure.
M. Burton a aussi soulevé un autre point repris par plusieurs intervenants, celui d'exposer le parti à des prises de contrôle de groupes d'intérêts spéciaux, comme ceux pour la défense de la définition traditionnelle du mariage.
Mauril Bélanger, le seul député s'étant prononcé au micro contre le changement, a rappelé que les congrès à la chefferie facilitaient l'unité du parti. «Nous avons deux mandats ici. Le premier est de choisir un chef, le second, de se rallier autour du chef choisi et de se montrer solidaires, et la seule façon dont on peut faire cela, c'est en étant présents.»
Après le vote, M. Lapierre s'est dit déçu, croyant que la réflexion s'imposait toujours. «On aime le bon vieux temps, les bons vieux congrès avec nos bons vieux chums qu'on n'a pas vus depuis trois ou quatre ans. Mais on ne peut pas avoir juste des avocats, des médecins et des ingénieurs à nos congrès. On aime les happenings, mais on n'a pas les moyens de nos prétentions.»
Nation et déséquilibre fiscal
La résolution invitant le PLC a reconnaître l'existence et à éliminer le déséquilibre fiscal entre le gouvernement fédéral et les provinces a été adoptée en session plénière sans aucun débat. C'est pourtant un changement radical pour le PLC, qui encore lors de la dernière campagne électorale refusait d'utiliser le terme. À peine quelques centaines de militants ont participé à la plénière. Le PLC attend 5000 militants.
En outre, le candidat Bob Rae a été obligé de se prononcer sur la résolution d'urgence adoptée la veille par la Commission des peuples autochtones reconnaissant les nations autochtones et exigeant un débat constitutionnel pour inscrire cette reconnaissance. Un des parrains de la résolution, Bob Goulais, a interpellé Bob Rae, qui s'est lancé dans une longue réponse passionnée de plus de quatre minutes.
«Je ne vous dirai pas que les changements constitutionnels sont une de mes priorités parce que c'est difficile à faire. Une fois que vous êtes happés par cela, on en vient à se demander comment cela sera rédigé, qu'est-ce que cette virgule signifie, qu'est-ce que cette phrase signifie. Nous l'avons vu avec cette simple résolution de la Chambre des communes. Est-ce que ça veut dire ceci? Est-ce que ça veut dire cela? Bla, bla, bla. Après, vous devez aller vers tous les groupes qui veulent aussi quelque chose et, tant qu'à y être, pourquoi ne pas ajouter ceci ou cela? Et après, vous devez faire approuver le tout dans des référendums dans toutes les provinces. Je ne veux pas passer mon temps à faire cela.»
M. Rae a ajouté qu'il préférait s'attaquer aux problèmes concrets des communautés autochtones plutôt qu'aux «symboles». Interrogé par la suite, M. Goulais a indiqué qu'il avait apprécié la franchise de M. Rae, qu'il songe appuyer au second tour.
Quant à la présence du français au congrès, elle ne s'est guère améliorée aujourd'hui. Au cours de la plénière du matin, une gigantesque erreur d'orthographe a trôné sur les écrans géants pendant près d'une heure. Chaque fois qu'une résolution était approuvée par les militants, celle-ci apparaissait à l'écran avec la mention «apprové» (approved en anglais) inscrite en travers en bleu royal. Ce n'est qu'après une dizaine de votes que le «u» manquant a été ajouté.
Interrogé pour savoir si le niveau de bilinguisme le satisfaisait, Bob Rae a répondu: «Franchement, non. Je crois qu'il faut faire un meilleur effort, pour s'assurer que le congrès est bilingue. Il faut que tout le monde puisse parler dans sa langue maternelle.»
Avec la collaboration
d'Alec Castonguay
Le Devoir