Retour à la case départ - La « révolution verte » selon Harper

La fonte rapide des glaces de l’Arctique canadien ne laisse pas grand temps à Ottawa pour tergiverser.
Photo: La fonte rapide des glaces de l’Arctique canadien ne laisse pas grand temps à Ottawa pour tergiverser.

Les mots «Plan vert» ont beau avoir disparu du discours gouvernemental à Ottawa, il n'en demeure pas moins que les conservateurs dévoilent tranquillement leur jeu en matière d'environnement. L'approche Harper aura deux objectifs: lutter contre le smog et réduire l'intensité des émissions de gaz à effet de serre. Une démarche bâtie sur mesure pour avantager les secteurs du gaz et du pétrole, avoue le gouvernement.

Ottawa — Les groupes écologistes et les compagnies pétrolières ont écouté avec intérêt l'annonce environnementale du premier ministre Stephen Harper mardi devant un beau paysage de Vancouver. Rivés à leurs téléviseurs, ils attendaient de voir la direction que les conservateurs allaient prendre. Les réactions aux premières bribes d'information données par Stephen Harper ont été très différentes: pendant que l'industrie des sables bitumineux applaudissait, les écologistes manifestaient leur colère.

Mais personne n'a été surpris pour autant. En parlant pour la première fois du concept de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) basé sur l'intensité, le premier ministre ne fait que poursuivre le travail amorcé sous le précédent gouvernement libéral, mais en lui donnant une place plus importante et plus visible, ce qui n'était pas le cas sous les libéraux.

Pour en savoir plus, il faudra toutefois attendre: Stephen Harper a en effet été avare de détails mardi. «Nos objectifs sont clairs. Nous allons remplacer les belles paroles par des mesures concrètes en matière de réduction des polluants atmosphériques et des gaz à effet de serre», a-t-il dit. Mais à l'heure actuelle, il semble être le seul à savoir où il s'en va tellement l'annonce de mardi était parcellaire.

Il faudra d'abord attendre le début de la semaine pour savoir ce que contient le projet de loi promis, puis patienter pendant des mois, voire des années — entre un an et quatre ans, a dit le premier ministre —, avant de savoir quelles seront les cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Une nouvelle ronde de consultations avec les industries et les provinces est lancée et le combat contre le réchauffement de la planète devra attendre, semble-t-il.

Dans la bonne direction

Mais déjà, sans même connaître les résultats de ces consultations, le secteur pétrolier se réjouit de voir que l'approche basée sur une réduction de l'intensité des émissions de GES a été retenue. «Ça va dans le bon sens pour une industrie en croissance comme la nôtre», a expliqué Carol Montreuil, vice-président de l'Institut canadien des produits pétroliers. «Le secteur de l'exploitation des sables bitumineux applaudit, c'est clair. Mais ça ne veut pas dire qu'il faut croiser les bras. On peut s'attendre à des exigences très formelles avec des échéanciers précis, mais ça va nous laisser du temps pour développer de nouvelles technologies pour être plus efficaces.»

En effet, l'approche de la réduction des émissions de GES basée sur l'intensité des émissions, adoptée par les États-Unis, ne prend pas en compte la réduction totale des émissions mais seulement la réduction par unité de production. Les efforts d'une usine pour émettre moins de GES seront donc reconnus même si sa production totale a augmenté et même si cela signifie qu'elle émet, en réalité, plus de GES qu'auparavant. Par exemple, si le processus de production d'un baril de pétrole produit trois tonnes de GES (chiffre fictif) et que l'entreprise réussit à réduire ce ratio à deux tonnes, elle aura atteint son objectif, et ce, même si l'entreprise produit un million de barils de plus par année et que sa production de GES totale a donc considérablement augmenté en réalité. C'est une bénédiction pour une industrie pétrolière qui prévoit doubler de taille d'ici dix ans. D'ailleurs, la ministre fédérale de l'Environnement, Rona Ambrose, a reconnu mercredi que cette approche allait entraîner une augmentation absolue des rejets de GES au Canada.

Les écologistes soulignent que cette approche de réduction basée sur l'intensité n'aura aucun impact sur l'environnement. Le gouvernement rate donc la cible, disent-ils. «Ce sont les émissions absolues qui ont un impact, pas l'efficacité! Si on continue à rejeter plus de GES au total dans l'air, l'environnement va continuer à se dérégler, même si tout le monde est plus efficace», s'insurge Johanne Whitmore, analyste en matière de changements climatiques à l'Institut Pembina.

Et les cibles ?

Mme Whitmore reconnaît que l'approche basée sur l'intensité était celle que le gouvernement libéral privilégiait, à la différence notable toutefois que le plan des libéraux fixait également une réduction absolue des émissions de GES pour les grands secteurs industriels. En définitive, les entreprises devaient donc se conformer à une réduction totale, même si la recherche d'efficacité était le leitmotiv. Les conservateurs, eux, n'ont pas annoncé de cibles de réduction absolue pour le moment.

Cette stratégie de la réduction de l'intensité des émissions de GES peut-elle quand même être efficace? Oui, tranche un rapport du prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT) rédigé en 2003. Dans ce document, intitulé Global Science Policy Change, deux chercheurs ont comparé l'approche de l'intensité et celle de la réduction absolue. Conclusion: les deux démarches se valent si les efforts de réduction exigés par le gouvernement sont importants.

«La présomption selon laquelle l'approche basée sur une réduction de l'intensité est moins efficace et moins contraignante que l'approche basée sur une réduction absolue des émissions est erronée», soulignent les auteurs. En fait, Ottawa pourrait imposer une réduction draconienne basée sur l'intensité, avec des cibles ambitieuses, et arriver au même résultat qu'un plafonnement absolu des émissions de GES. Le rapport du MIT précise toutefois que si l'approche américaine — et maintenant canadienne — est plus avantageuse pour un pays en situation de croissance économique, l'effet sur l'environnement, lui, se fera seulement sentir à moyen et à long terme et n'aura pas un impact aussi rapide qu'un plafonnement des émissions, comme l'exige le protocole de Kyoto. «C'est ça, le problème. Non seulement on ne sait pas si le gouvernement exigera une réduction substantielle de l'intensité, mais en plus, on manque de temps. Il faut agir dès maintenant. Les conséquences des changements climatiques sont de plus en plus visibles, notamment dans l'Arctique», affirme Johanne Whitmore.

Le gouvernement conservateur se dirige toutefois vers une approche à deux vitesses, soit une réduction d'intensité pour les secteurs du gaz et du pétrole ainsi qu'une réduction obligatoire absolue pour d'autres secteurs industriels. C'est le scénario qu'a évoqué la ministre Ambrose lors d'une entrevue à CanWest cette semaine. «Dans le cas des polluants [qui causent le smog], ce sera une réduction totale et absolue. Avec l'industrie du pétrole et le secteur de l'énergie, nous envisageons une approche basée sur l'intensité des émissions. Mais je répète que dans les deux cas, il y aura des cibles précises à atteindre», a-t-elle soutenu.

Deux poids, deux mesures? La ministre Ambrose n'a pas voulu expliquer au Devoir pourquoi les grands émetteurs de GES seraient moins pénalisés que les secteurs responsables du smog. La ministre de l'Environnement n'a accordé aucune entrevue en français cette semaine.

Les conservateurs répètent qu'ils veulent combattre à la fois le smog et les GES et qu'il est possible de faire les deux en même temps. Est-ce vrai? Oui, en partie, répond Louis Drouin, responsable du secteur environnement urbain et santé à la Direction de la santé publique de Montréal. C'est que dans certains cas, les émetteurs de GES sont aussi une source de smog. Par exemple, les voitures et les camions émettent à la fois du dioxyde de carbone, responsable du réchauffement de la planète, et de l'oxyde d'azote, à l'origine de l'ozone. C'est l'ozone et les particules fines en suspension dans l'air qui provoquent le smog. Scénario semblable dans le cas des centrales thermiques.

Mais tout dépendra de la réglementation imposée par les conservateurs: en effet, ils pourraient cibler seulement les substances qui causent l'ozone et oublier les GES, et ce, même s'ils proviennent de la même source. Les entreprises pourraient alors être forcées d'agir sur un front et pas sur l'autre, prévient Johanne Whitmore.

Louis Drouin ajoute un point important: «Il ne faut pas oublier que l'été, 65 % du smog à Montréal et dans le sud-ouest du Québec est le résultat de l'activité industrielle dans le centre des États-Unis. Le smog se déplace avec le vent. Sans un accord canado-américain qui forcerait les États-Unis à s'attaquer aux causes du smog, les résultats ici seront faibles», dit-il.

Selon lui, l'idée de s'attaquer au smog est excellente puisque c'est une très grande préoccupation en santé publique. D'ailleurs, chaque année, la pollution atmosphérique cause 5900 décès précoces au Canada, dont 1500 à Montréal, selon Santé Canada et la Direction de la santé publique de Montréal.

Il faut toutefois prendre garde aux exagérations. Par exemple, Stephen Harper a affirmé mardi que «le nombre de journées de smog au Canada et la gravité de celles-ci ont augmenté». Or rien ne prouve une telle affirmation, affirme Claude Côté, météorologiste à Environnement Canada. «On ne peut pas dire avec certitude que le nombre de journées de smog augmente, dit-il. On n'a aucun chiffre qui le prouve. Nos outils de détection sont plus précis et plus nombreux maintenant, donc on est plus attentifs, mais on ne peut pas tirer de telles conclusions.»

À titre d'exemple, M. Côté cite les derniers chiffres disponibles. Au Québec, cet été, huit avis de smog ont été émis, contre 24 en 2005. En Ontario, 17 avis de smog ont été émis cet été, contre 53 en 2005. Tout dépend du temps puisqu'un été froid et pluvieux limite les périodes de smog, même si la pollution varie peu.

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