Éthique et politique - Chrétien pourrait perdre un ministre
Ottawa - Le premier ministre Jean Chrétien s'en serait bien passé, mais une fois de plus, son gouvernement traverse une tempête qui pourrait entraîner la chute d'un ministre. Cette fois-ci, c'est le solliciteur général Lawrence MacAulay qui met le gouvernement dans l'embarras et donne des arguments aux députés libéraux qui exigent d'avoir un conseiller en éthique véritablement indépendant.
M. Chrétien pourrait devoir décider rapidement du sort de son ministre. Le Parlement fait relâche pour une semaine mais lui-même part mercredi pour le Sommet de la Francophonie. S'il veut éviter une reprise des attaques, il doit agir avant le retour des parlementaires.Le conseiller en éthique Howard Wilson est actuellement à l'Île-du-Prince-Édouard pour faire enquête. Il devrait faire rapport dès la semaine prochaine à M. Chrétien, si possible avant son départ. Si les accusations s'avèrent fondées, le premier ministre sera forcé de limoger le ministre, ce qui signifierait un autre remaniement ministériel. La clémence n'est pas une option. Plusieurs députés trouvent déjà que Jean Chrétien fait preuve de partialité envers son fidèle supporteur, lui qui n'a pas hésité à se défaire d'Art Eggleton après avoir appris qu'il avait accordé un contrat à une ancienne amie de coeur. Selon le député David Pratt, ces affaires sont similaires, mais on semble avoir recours à «deux poids, deux mesures».
Enchevêtrement d'allégations
M. MacAulay est coincé dans un enchevêtrement d'allégations qui vont de l'attribution sans soumission d'un contrat à un ami à la promotion insistante de la construction d'un pavillon dans un parc national. Le constructeur, aujourd'hui président du Parti libéral à l'Île-du-Prince-Édouard, a investi trois millions pour bâtir, sur les terres de la Couronne, un centre d'interprétation plus élaboré que souhaité à l'origine par Parcs Canada. Ce qui est inhabituel est qu'Ottawa loue cet édifice isolé, fermé une partie de l'année, et ce, pour 11,6 millions sur 25 ans.
Le dossier qui a toutefois provoqué l'intervention d'Howard Wilson a trait à l'attribution sans soumission d'un contrat de 100 000 $ à une firme comptable de l'Île-du Prince-Édouard dont un des principaux associés est l'agent officiel du ministre. M. MacAulay maintient que les règles d'attribution de contrat du Conseil du trésor ont été respectées, mais il est toujours incapable de dire quelle exception il a pu invoquer pour se soustraire à l'obligation d'un appel d'offres.
Le contrat prévoit l'offre de conseils stratégiques sans préciser qui doit les fournir. C'est finalement l'ancien sous-ministre des Anciens Combattants et ex-président de l'Agence de promotion économique du Canada atlantique, David Nicholson, qui a fait le travail. Ceci corse encore plus la sauce car M. Nicholson, à la même époque, avait fait des démarches auprès de la GRC et des Services correctionnels en faveur d'un projet présenté par le collège dirigé par le frère de M. MacAulay. Or ces deux organismes relèvent du solliciteur général, et une personne qui travaille pour le gouvernement n'a pas le droit de le solliciter de la sorte.
M. Chrétien, comme à l'accoutumée, a défendu son ministre, nuançant toutefois ses propos jeudi. «De l'avis du conseiller en éthique, le ministre [de la Défense, Art Eggleton] avait enfreint les lignes directrices, et je lui ai donc demandé de démissionner de son poste au cabinet. C'est ce que je devais faire. Dans le cas du solliciteur général, nous n'avons reçu aucun avis de ce genre», a-t-il dit. Tout le monde a compris que s'il en devait en recevoir un, il s'y pliera.
Le changement de ton du premier ministre semble destiné à calmer ses troupes qui, en plus de lui reprocher sa tolérance à l'endroit de M. MacAulay, sont sur les dents à cause du projet de code d'éthique pour les députés et sénateurs. Le projet initial envisageait d'exiger une déclaration confidentielle des avoirs des conjoints des députés et d'établir des conseillers en éthique différents pour les députés et les ministres. Le premier aurait été indépendant; le second aurait relevé du premier ministre.
Le tollé a été sérieux et public. La semaine dernière, M. Chrétien aurait indiqué qu'il abandonnait l'idée d'inclure les conjoints. Cette semaine, il a entrouvert la porte à un seul conseiller en éthique totalement indépendant. Là encore, la pression des députés a joué. Le président du caucus de l'Ouest, John Harvard, a dit publiquement que des députés libéraux pourraient voter contre le projet de loi sur l'éthique si députés et ministres étaient traités différemment et si la promesse faite en 1993 de créer un conseiller indépendant n'était pas respectée.
Le premier ministre, qui espérait redorer son blason en reprenant l'initiative sur le front de l'éthique, voit son autorité vaciller, les députés faire preuve d'audace, l'opposition attaquer et lui-même se retrouver sur la défensive.
Et comme un malheur n'arrive jamais seul, le ministre des Travaux publics, Ralph Goodale, s'est chargé de lui rappeler pourquoi il avait promis d'agir... Il a en effet rendu public le rapport de l'enquête administrative sur les dossiers de commandite. Les 126 dossiers examinés, sur les 712 ouverts entre 1997 et 2000, étaient souvent incomplets. Certains ne contenaient même pas de demandes des organisateurs. Dans certains cas, il manquait des factures. Dans d'autres, il y en avait trop, ou on avait facturé deux fois certaines heures travaillées. Treize dossiers sont maintenant entre les mains de la GRC.