La ministre Biron «ne nous écoute pas»

L’approche au sujet de l’avortement de la ministre de la Condition féminine, Martine Biron, nourrit la colère des groupes de femmes, qui se disent ignorées par l’élue — qui a d’ailleurs annulé certaines rencontres prévues avec elles.
« Elle ne nous écoute pas », a lâché en entrevue mercredi Jess Legault, coordonnatrice générale de la Fédération du Québec pour le planning des naissances (FQPN).
« On est extrêmement inquiets du fait que la ministre continue de s’entêter sur cette question. Nous, on la rencontre, on lui apporte des faits, des études, et elle les balaie du revers de la main », a-t-elle ajouté.
« Non, non, non », a répondu la ministre à son arrivée à l’Assemblée nationale, quand Le Devoir lui a rapporté que des groupes de femmes jugeaient qu’elle faisait la sourde oreille face à leurs inquiétudes. « Il y a des gens qui ont des réserves, je le savais dès le départ, et il y en a d’autres qui ont de l’enthousiasme. »
Mme Biron a ensuite laissé entendre qu’elle pourrait renoncer à la voie législative pour concrétiser sa volonté. « Ce que je fais, c’est discuter avec ces groupes-là pour essayer de trouver le chemin le plus solide, le meilleur chemin pour protéger le droit des femmes de choisir l’avortement. »
On est extrêmement inquiets du fait que la ministre continue de s'entêter sur cette question. Nous, on la rencontre, on lui apporte des faits, des études, et elle les balaie du revers de la main.
Le Devoir a rapporté mercredi les mises en garde du Barreau du Québec et d’expertes en droits des femmes au sujet de l’intention de la ministre de légiférer pour consolider le droit à l’avortement au Québec. Cette approche risque d’avoir un effet inverse à la volonté de Mme Biron : elle mettrait, en fait, le droit à l’avortement à risque, ont-ils averti.
Les signaux d’alarme du Barreau ont trouvé écho à la Fédération des femmes du Québec (FFQ). « C’est sûr que ça démontre une action du gouvernement, mais dans la réalité, ça met vraiment nos droits en danger », a résumé la présidente Sylvie St-Amand.
« C’est préoccupant. Surtout que ça fait des années que [nous] disons qu’une loi ne ferait que faire du tort aux droits des femmes. Et malgré cela, on n’est pas entendues. »
Des rencontres annulées
Le Secrétariat à la Condition féminine (SCF) a proposé une rencontre à la FFQ, mais l'a ensuite annulée, ce qu'a déploré Mme St-Amand. « Nous, ce qu’on voit sur le terrain, c’est que les groupes n’ont pas pu s’exprimer. Et c’est unanime [parmi les groupes de femmes] : tout le monde est contre. Donc je ne sais pas qui elle a consulté, mais clairement, ce ne sont pas les personnes directement concernées. »
Jess Legault a confirmé que la FQPN a rencontré la ministre au début du mois de mai et à quelques reprises depuis. Mais les échanges qui devaient avoir lieu avec d’autres groupes de femmes jeudi ont été annulés, a-t-elle précisé. Le SCF a finalement organisé une rencontre avec ces groupes en août, en l'absence de Mme Biron toutefois.
Interrogée sur la posture du Barreau, la ministre a répondu que celui-ci avait « droit à son opinion ». « Mais il y a d’autres groupes très sérieux que j’ai écoutés aussi [et] qui ont d’autres opinions », a-t-elle ajouté.
Mme Biron a refusé de nommer les organisations qui appuient son initiative, disant leur avoir garanti la confidentialité. Elle a répété que son objectif était de « protéger le droit des femmes de choisir l’avortement ».
Miser sur l’accessibilité
Comme d’autres personnes avec qui Le Devoir s’est entretenu, Mme St-Amand a suggéré à la ministre Biron de s’y prendre autrement si elle souhaite protéger le droit à l’avortement. « Il vaudrait mieux qu’elle s’occupe de l’accessibilité », a insisté la présidente de la FFQ.
L’accès à l’avortement en région demeure plus difficile et les heures d’ouverture des cliniques sont limitées, a-t-elle rappelé. « Et les femmes avec un statut migratoire précaire, qui n’ont pas accès à l’assurance maladie, c’est difficile pour elles. »
La Ligue des droits et libertés a formulé la même proposition. « Le gouvernement du Québec devrait plutôt s’assurer de l’accessibilité à l’avortement partout sur le territoire du Québec, comme tout soin de santé », a écrit l’organisation dans un tweet.
« J’espère que Martine Biron écoutera les mises en garde qui s’accumulent contre le fait de légiférer. Je ne comprends pas son entêtement à politiser le droit à l’avortement. La priorité est l’accès et de rendre gratuits les moyens de contraception », a aussi réagi la députée Ruba Ghazal, de Québec solidaire.
« Ce que les groupes demandent, c’est un meilleur service, notamment en région, ce qui est un enjeu bien plus pressant », a souligné Joël Arseneau, député du Parti québécois. « S’il y avait une menace pour le droit à l’avortement, nous serions évidemment en faveur de toute mesure permettant de solidifier ce droit. Toutefois, celui-ci est clairement établi ici au Québec et il n’y a pas de débat là-dessus actuellement. La ministre doit écouter les experts. »
Avec Alexandre Robillard
Une version précédente de ce texte a été modifiée afin de préciser le rôle du Secrétariat à la Condition féminine dans l'organisation de rencontres avec la FFQ et les groupes de femmes.