Mushikiwabo resserre son emprise sur l’OIF avant l’arrivée de St-Hilaire

La secrétaire générale de la Francophonie, Louise Mushikiwabo, a resserré la semaine dernière son emprise sur l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), avant l’arrivée de sa nouvelle administratrice, Caroline St-Hilaire, a appris Le Devoir.

Mme Mushikiwabo a profité de la période de transition précédant l’entrée en fonction de Mme St-Hilaire pour effectuer une restructuration qui retire à la nouvelle numéro deux de l’OIF toute responsabilité directe sur les représentations de l’organisation réparties un peu partout à travers le monde.

La secrétaire générale a également procédé à une dizaine de « nominations discrétionnaires », dont un peu moins de la moitié dans l’équipe de proches collaborateurs de Mme St-Hilaire, qui vient à peine d’être nommée et qui n’est pas encore en poste au siège parisien de l’OIF.

Mme Mushikiwabo a annoncé ces changements au personnel de l’OIF dans une note interne datée du 21 mars dont Le Devoir a obtenu copie.

« La nouvelle administratrice prendra effectivement ses fonctions au cours des prochaines semaines. Dans la foulée, et conformément aux dispositions du Statut du personnel, j’ai procédé à des nominations discrétionnaires au sein de mon cabinet et du bureau de l’administratrice qui seront évolutives, en fonction des besoins », y a-t-elle écrit.

Joint à la note interne, un nouvel organigramme, en vigueur depuis le 24 mars, montre que Mme St-Hilaire ne sera pas responsable des représentations extérieures de l’OIF en Europe, en Afrique, en Asie et sur le continent américain. Ces 13 bureaux, dont le plus récent a été inauguré à Québec l’an dernier, étaient jusqu’ici sous la responsabilité de la personne exerçant la fonction d’administrateur, comme en témoignent au moins deux organigrammes précédents, datés respectivement de novembre 2022 et juin 2020.

Dans un rapport de KPMG réalisé après l’arrivée de Mme Mushikiwabo, le cabinet de consultants proposait justement, début 2020, un organigramme qui plaçait les représentations sous la responsabilité d’un pôle de coordination relevant de l’administrateur.

Nominations discrétionnaires

Dans le document exposant ses « nominations discrétionnaires », Mme Mushikiwabo s’appuie sur l’article 48 du Statut du personnel de l’OIF, qui prévoit pourtant la contribution de l’administrateur au choix de ses proches collaborateurs. « Le Secrétaire général nomme, à sa discrétion, les membres de son cabinet ainsi que les membres du bureau de l’Administrateur, sur proposition de ce dernier », peut-on lire dans ce statut.

Mme Mushikiwabo se réfère également à l’article 52, qui lui donne le pouvoir de faire des nominations temporaires pour une période qui ne peut excéder la durée du mandat de l’administrateur, qui est de quatre ans.

En plus des changements portant sur les représentations extérieures, le nouvel organigramme ne comprend plus de service juridique.

Dans la décision où sont présentées ces « nominations discrétionnaires », Mme Mushikiwabo règle également l’affectation des quatre voitures de fonction dont dispose l’OIF et de leurs chauffeurs respectifs. Mme Mushikiwabo et son conseiller spécial, Désiré Nyaruhirira, auront chacun un véhicule à leur disposition, tout comme Mme St-Hilaire et le chef de son bureau, Alain Ngoc Pham.

Au cabinet de Mme Mushikiwabo, la porte-parole Oria Vande Weghe a référé à une décision de 2019 pour limiter la portée du changement de responsabilités des représentations extérieures.

« Le volet politique et diplomatique des représentations, uniquement, sera désormais géré par le cabinet de la secrétaire générale », a-t-elle affirmé en soutenant que les aspects programmatiques, administratifs et budgétaire dépendront de l’administratrice de l’OIF.

Quant aux « nominations discrétionnaires » du 21 mars, Mme Vande Weghe a assuré qu’il s’agissait d’une simple prolongation jusqu’au 31 mars, puisque les mandats du bureau de l’administration étaient échus depuis le 31 décembre dernier. Les responsabilités du service juridique ont été réparties dans d’autres services.

À Ottawa, une source fédérale (qui n’a pas voulu être nommée, car elle n’est pas autorisée à s’exprimer ouvertement sur le sujet) s’est inquiétée des changements aux responsabilités de la nouvelle administratrice. « On a des inquiétudes par rapport à la manière dont c’est fait, sans consultation. Dans la perspective où on veut faire de l’OIF une organisation plus transparente, cette décision ne correspond pas à notre philosophie à ce sujet », a-t-on affirmé.

Le cabinet de la ministre québécoise des Relations internationales, Martine Biron, n’a pas voulu commenter ces changements.

Proposée par le Québec, la candidature de Mme St-Hilaire a été entérinée la semaine dernière par le Conseil permanent de la Francophonie, où sont représentés les États et gouvernements membres, dont le Québec et le Canada.

Mme St-Hilaire succède à Geoffroi Montpetit, dont le mandat n’a pas été renouvelé contrairement à ce qui était attendu. M. Montpetit avait lui-même remplacé Catherine Cano, qui avait quitté ses fonctions précipitamment en 2020 sur fond de divergences avec Mme Mushikiwabo.

La semaine dernière, Mme Biron a souligné qu’il restait encore du travail à faire afin d’améliorer la gouvernance et la transparence de l’organisation internationale.

Harcèlement

Dans la note interne du 21 mars, Mme Mushikiwabo énumère des éléments de son plan de transformation qui restent à faire, dont l’instauration d’une politique de lutte contre le harcèlement « sous toutes ses formes ». Selon les informations du Devoir, un texte sur le sujet existait déjà.

Un sondage réalisé à cette fin auprès des employés de l’OIF montre que 44 % des répondants pensent avoir été victimes de harcèlement moral au travail, et 9 % de harcèlement sexuel, a rapporté lundi Radio-Canada.

Le cabinet de Mme Biron a affirmé ensuite que « le harcèlement, c’est tolérance zéro ». « Le Québec est heureux d’avoir en poste une personne compétente et de confiance qui saura contribuer à améliorer les pratiques au sein de l’organisation », a déclaré l’attachée de presse Catherine Boucher, en parlant de Mme St-Hilaire.

Du côté d’Ottawa, le cabinet de la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, a pressé l’OIF d’adopter les derniers éléments de sa politique, « qui, nous disait-on, en étaient en cours de finalisation », a indiqué la porte-parole Maéva Proteau. « Le Canada est très préoccupé par les résultats élevés du sondage interne en ce qui a trait au harcèlement et particulièrement au harcèlement sexuel », a-t-elle noté.

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