Fermeture du chemin Roxham: Ottawa et Washington s’entendent sur une résolution

Le Canada et les États-Unis sont sur le point de conclure une entente qui permettrait aux agents frontaliers de renvoyer dans le pays voisin tout migrant qui a récemment traversé la frontière de manière irrégulière, comme par le chemin Roxham, a appris Le Devoir.
Le nouvel accord doit ainsi étendre aux 8900 kilomètres de frontière commune le même statut qu’aux passages officiels, en vertu de l’Entente sur les tiers pays sûrs. En échange, le Canada s’engage à accueillir par la voie régulière 15 000 personnes de plus, a confirmé au Devoir une personne proche des négociations au sein du gouvernement canadien.
En vertu de l’Entente signée entre les deux pays en 2002, une personne qui arrive par voie terrestre à un point d’entrée officiel pour demander l’asile sera refoulée dans le pays voisin. L’omission des points d’entrée irréguliers permet actuellement aux personnes qui traversent ailleurs, comme par le chemin Roxham, de demander l’asile au Canada.
La nouvelle entente ne vise donc pas spécifiquement et seulement le chemin Roxham, mais elle étend plutôt les renvois à toutes les traversées irrégulières, incluant cette route devenue célèbre.
Deux semaines après une traversée
En vertu du nouvel accord, qui doit entrer en vigueur « très rapidement », selon la même source gouvernementale, le Canada détiendrait alors le pouvoir de refouler vers les États-Unis tout demandeur d’asile arrivé de manière irrégulière par la frontière terrestre , et vice-versa. Toute personne interceptée durant les 14 premiers jours après son passage à un endroit non autorisé serait renvoyée.
À Ottawa, la première confirmation est venue de la part de quelqu’un que l’on ne soupçonnait pas : « Je pense que c’est une très bonne nouvelle », a confirmé le ministre de la Santé, Jean-Yves Duclos, pressé par les questions des journalistes jeudi après-midi. « Je comprends qu’il y aura des précisions rapidement », a aussi ajouté le député de Québec, affirmant être au courant du contenu de l’entente.
Les discussions se sont accélérées récemment, selon M. Duclos : « Beaucoup de choses ont pu être faites plus rapidement dans les dernières semaines », en prévision de la visite du président Biden.
Officiellement, le gouvernement canadien se disait jeudi « encouragé par les signaux des États-Unis ». Des progrès ont été faits dans les discussions, et d’autres détails sont attendus à l’issue des rencontres de vendredi, comme l’avait laissé entendre le premier ministre Justin Trudeau cette semaine. « On va peut-être avoir quelque chose à annoncer », avait-il lancé à la presse parlementaire.
Beaucoup d’attentes
Alors que le président américain, Joe Biden, atterrissait jeudi soir à Ottawa, la pression pour conclure un nouvel accord s’est accrue au cours des dernières semaines.
Notre série « Le chemin Roxham en questions »
Le ministre fédéral de l’Immigration, Sean Fraser, s’est aussi adressé aux médias mercredi en insistant sur le fait que les deux pays croient en une frontière ordonnée, tout en ayant une « politique d’immigration favorable à ceux qui fuient la violence, la guerre ou la persécution ».
Le premier ministre québécois, François Legault, réclame la « fermeture » du chemin Roxham depuis des mois. Il a réitéré ses demandes jeudi, en signalant que les transferts de demandeurs d’asile vers l’extérieur de la province n’étaient pas suffisants.
En 2022, ce sont 39 171 demandeurs d’asile qui ont été interceptés sur cette voie de passage irrégulière, ce qui a représenté les deux tiers de toutes les demandes au Québec. Les demandes présentées au chemin Roxham formaient aussi 42 % du total des demandes canadiennes.
Le nombre de traversées en sens inverse, du Canada vers les États-Unis, a aussi grimpé dans les derniers mois. La patrouille frontalière américaine s’en est inquiétée récemment, affirmant avoir intercepté 367 personnes en janvier seulement, entre le Québec et le Vermont. « Malgré des températures sous le point de congélation, le secteur de Swanton continue à intercepter des familles avec de jeunes enfants, incluant des bébés », écrivait cette patrouille en février.
La mort de Fritznel Richard en janvier a attiré l’attention sur cet autre phénomène. Cet homme de 44 ans d’origine haïtienne tentait de rejoindre des membres de sa famille aux États-Unis après avoir demandé l’asile au Canada. Il est mort d’hypothermie à proximité du chemin Roxham.
Une approche à définir
Québec restait prudent encore en début de soirée, refusant de commenter l’annonce pour l’instant, à l’instar de plusieurs observateurs.
« Je pense que d’un point de vue politique, Justin Trudeau pourra utiliser l’entente comme une victoire. Trouver une solution à ce qui se passe à la frontière faisait partie de ses promesses de campagne », note Mireille Paquet, titulaire de la Chaire de recherche en politique de l’immigration de l’Université Concordia.
Le contenu reste à analyser, dit-elle, mais la politologue soulevait déjà des doutes quant à la possibilité de contrôler toute la frontière. « Il ne faut pas se leurrer, les arrivées ne vont pas cesser. L’on fera face à de nouvelles décisions, notamment sur la sélection des 15 000 personnes, si ce détail se confirme », s’avance-t-elle.
Disant attendre plus de précisions lui aussi, le directeur de l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand, Frédérick Gagnon, se dit « étonné qu’il y ait eu une entente ». « Biden est très prudent sur les frontières en général et sur les questions migratoires », souligne-t-il.
Alors que la frontière sud alimente énormément de débats aux États-Unis, le risque pour lui est « d’apparaître mou ou de donner l’impression qu’il fait des compromis avec les voisins », poursuit-il.
Durant l’année fiscale 2021-2022, plus de 2,7 millions de personnes ont été interceptées à la frontière des États-Unis avec le Mexique. Les demandeurs d’asile passés à Roxham en 2022 représentent 1,4 % de ce total.
« Ce sera intéressant de voir comment la nouvelle est perçue en sol américain », dit M. Gagnon.
En janvier dernier, les États-Unis ont annoncé qu’ils prendraient 30 000 personnes par mois en provenance du Venezuela, de Cuba, du Nicaragua et d’Haïti. Le Mexique s’engage à faire de même.