Les fonds des médecins spécialistes tardent à être dépensés

Trois ans après sa création, l’Institut de la pertinence des actes médicaux (IPAM) a récupéré plus d’un milliard de dollars dans la rémunération des médecins spécialistes, en faisant le tri dans les actes et primes inutiles. Les réinvestissements tardent toutefois à se matérialiser.
« Les gens avaient des doutes sur l’IPAM, mais il faut constater que ça a donné des résultats intéressants. Le bémol dans ça, c’est que la mise en oeuvre est longue. On souhaiterait que ce soit plus rapide », observe le président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ), Vincent Oliva.
Selon nos informations, seulement 82,5 millions de dollars ont été réinvestis à ce jour dans le réseau sur la somme de 1,064 milliard de dollars qui a été récupérée.
Rappelons que l’Institut de la pertinence des actes médicaux avait été créé au terme d’un compromis entre le gouvernement Legault et les médecins spécialistes.
Lorsqu’elle était dans l’opposition, la CAQ avait promis de sabrer un milliard par an dans leur rémunération. Or, après l’élection de 2018, les médecins et le Conseil du trésor (alors dirigé par Christian Dubé) avaient plutôt convenu de récupérer 1,6 milliard en quatre ans, en pigeant dans la rémunération de façon indirecte.
« L’idée, c’était d’éliminer des activités médicales peu utiles pour le patient », résume le Dr Oliva. Au lieu de réduire les salaires, on allait faire le ménage dans les primes et les milliers de codes associés au paiement à l’acte. C’est ainsi que depuis trois ans, des représentants des médecins et du gouvernement ont convenu, par exemple, de réduire les primes accordées aux anesthésistes qui acceptaient de travailler tôt le matin ou encore d’éliminer des visites de contrôle superflues en pédiatrie. Les internistes ne pourront pas facturer plus d’une fois certains examens annuels. Et ainsi de suite, pour un total de 114 coupes ou ajustements.
Pluie de projets technos,impacts ténus en chirurgie
L’IPAM, les médecins et le ministère de la Santé se sont ensuite entendus sur 47 « projets » dans lesquels l’argent sera réinvesti. Tous visent à améliorer l’accès à la médecine spécialisée, comme le prévoyait l’entente de 2019.
Le plus gros projet vise à réduire l’attente en chirurgie. Dans le dernier budget, 400 millions de dollars ont été prévus à cette fin. Or, son impact est limité en raison de la pénurie de main-d’oeuvre, se désole le Dr Oliva.
« C’est sûr que les projets [de réinvestissement] qui nécessitent des ressources humaines sur le terrain sont dans une file d’attente », constate-t-il.
Selon la FMSQ, seulement une « petite partie » des 400 millions a été investie, et ce, surtout dans du travail de « planification ».
Pendant ce temps, l’IPAM multiplie les projets à caractère technologique. Ainsi, sur les 47 projets financés, 18 touchent de près ou de loin au numérique ou à la télésanté, pour un total de 134 millions de dollars.
Parmi ces derniers, un vaste projet de 51 millions de dollars permettant aux pathologistes de numériser les lamelles de verres de leurs microscopes dans l’ensemble des laboratoires OPTILAB.
La FMSQ fonde aussi beaucoup d’espoir sur un projet « d’optimisation » du guichet où transitent les demandes de rendez-vous en médecine spécialisée (les « centres de répartition des demandes de services », dits « CRDS » dans le jargon).
Avec six millions par an, les médecins pensent pouvoir harmoniser les 14 CRDS du Québec. « Il y a des doublons là-dedans, des patients qui doivent être réorientés… » mentionne le président de la FMSQ.
Ils veulent aussi créer un « dossier médical électronique intégré » pour les médecins spécialistes qui ont une pratique en cabinet. Pas moins de 18 millions de dollars y sont alloués la première année.
Le fax perdure malgré tout
Fait étonnant : l’un des projets en télésanté vise notamment à faciliter l’utilisation des télécopieurs. Financé au coût de 4,6 millions, le futur « centre de soutien des services numériques en santé » doit, entre autres choses, permettre aux médecins de recevoir et « d’acheminer un courriel et ses pièces jointes par télécopieur ». L’IPAM qualifie cela de « télécopie infonuagique » ou encore de « Web fax ».
Questionné à ce sujet, son directeur, Jean-François Foisy, rétorque qu’il faudra attendre « plusieurs années » avant de bannir les fax du réseau. Il faut donc trouver, dit-il, des solutions transitoires.
Sinon, le développement de tous ces nouveaux outils technologiques ne risque-t-il pas d’entrer en conflit avec la volonté du gouvernement d’uniformiser les services informatiques dans le réseau ?
M. Foisy rétorque que lorsqu’un projet techno est sélectionné, l’IPAM s’assure auprès du responsable des technologies de l’information du ministère « que ça va pouvoir s’intégrer après dans le dossier de santé numérique ».
« C’est une bonne question », répond de son côté M. Oliva. « Mais il faut juste être conscients qu’on a pris un retard technologique énorme au Québec dans les dernières années. Ça reflète ça. » Les projets en technologie « sont choisis conjointement avec le ministère » de la Santé, ajoute-t-il. « Et le ministère est responsable de la mise en oeuvre. »
L’IPAM a jusqu’à décembre 2023 pour atteindre la cible de 1,6 milliard de dollars d’économies prévue dans l’entente avec le gouvernement.