N’envoyez pas d’autres turbines à Gazprom, demande Kiev à Ottawa

Le Canada doit immédiatement bloquer l’envoi depuis Montréal de cinq autres turbines destinées au gazoduc russe Nord Stream 1, supplie l’ambassadrice de l’Ukraine au pays, qui demande à son allié de faire preuve de « courage ».
« C’est maintenant clair que les cinq turbines additionnelles seront refusées [par la Russie], ce qui ajoutera à l’humiliation », a lâché la diplomate Yuliia Kovaliv, faisant allusion au fait que la première turbine envoyée n’a même pas été reprise par l’entreprise Gazprom — elle serait actuellement coincée en Allemagne.
L’ambassadrice ukrainienne était invitée à s’adresser au Comité permanent des affaires étrangères et du développement international, à Ottawa, qui examinait jeudi la décision du fédéral de permettre l’exportation de turbines de l’entreprise Siemens destinées au géant russe du gaz.
La représentante du gouvernement de Kiev a vivement critiqué cette décision, la qualifiant de « dangereux précédent » qui « viole la solidarité internationale » et de « contraire à la règle de droit ». « La capacité de la Russie de conduire la guerre se base sur ses revenus du pétrole et du gaz. La raison pour laquelle le Canada et les autres alliés [de l’Ukraine] ont imposé des sanctions est de dépouiller la Russie de ces revenus. »
Toute cette affaire démontre, selon l’ambassadrice, la menace pour l’Europe que représentent la Russie et l’instrumentalisation de son industrie gazière. Elle a aussi indiqué que les installations gazières ukrainiennes pourraient mieux alimenter l’Europe.
« La Russie n’a pas restauré le flux de gaz, et demande plus de concessions », a souligné devant le comité la présidente du Congrès ukrainien canadien, Alexandra Chyczij. « Il n’est pas trop tard pour remettre ces sanctions. C’est un permis révocable. »
Ottawa justifie sa décision
La ministre fédérale des Affaires étrangères, Mélanie Joly, a précisé que ce n’était pas qu’une seule, mais bien six turbines de la compagnie Siemens que le Canada a accepté d’exporter sur une période de deux ans. Cette exception aux sanctions contre la Russie prend la forme d’un permis que le gouvernement peut retirer en tout temps.
Le ministre Joly n’a pas laissé entendre qu’elle révoquerait ce permis, jeudi, alors qu’elle répondait aux questions du comité en compagnie de son collègue des Ressources naturelles, Jonathan Wilkinson.
Ce dernier a ajouté que l’usine de Siemens à Montréal était la seule au monde qui pouvait faire ce genre de travaux d’entretien sur les turbines. Les ministres, qui disent discuter « presque tous les jours » de la sécurité énergétique de l’Europe, ont justifié l’exception accordée à l’exportation de ces turbines.
Les ministres ont fait valoir que cette décision « difficile à prendre » avait « éliminé l’excuse de Poutine » pour couper le gaz à l’Europe, en plus de représenter « un signe de soutien » envers ses alliés du Vieux Continent. Ce geste est cohérent avec les sanctions imposées à la Russie par le Canada, a soutenu le ministre Wilkinson, puisque celles-ci sont conçues « pour punir Poutine, pas pour mettre en péril la sécurité énergétique de l’Europe ».
L’ambassadrice de l’Allemagne au Canada, Sabine Sparwasser, a salué cette décision, présentant des arguments semblables à ceux avancés par le gouvernement canadien. Selon elle, l’Allemagne ferait déjà tout ce qui est en son pouvoir pour réduire sa dépendance au gaz russe. « [Les sanctions] ne doivent pas nous nuire plus qu’elles nuisent aux intérêts russes », a souligné l’ambassadrice allemande.
Les sanctions imposées par le Canada à la Russie seraient d’ailleurs beaucoup plus vastes que celles mises en place ailleurs, car elles n’excluent pas les équipements industriels liés au transport de gaz.
Davantage de gaz canadien en Europe
Les sanctions du Canada envers la Russie pour son invasion de l’Ukraine font consensus parmi tous les partis représentés à la Chambre des communes. Les différents partis d’opposition ont tous indiqué vouloir augmenter, et non diminuer, ces sanctions.
Le député conservateur James Bezan a qualifié la décision du gouvernement d’envoyer des turbines destinées à Gazprom de « honte » pour le pays.
« Vous devez expliquer aux Français et aux Allemands et aux Européens comment ils vont survivre cet hiver ! » lui a répliqué le ministre Wilkinson dans une envolée, lors de l’un des quelques moments cacophoniques de la comparution.
Selon le ministre des Ressources naturelles, le Canada ne pouvait pas jusqu’ici vendre du gaz naturel à l’Europe à un prix comparable au gaz russe bon marché. La situation serait toutefois en train de changer. « Nous travaillons sur des possibilités [de projets] de [gaz naturel liquéfié] sur la côte est », a dit Jonathan Wilkinson, qui promet aussi d’envoyer 300 000 barils de pétrole et de gaz supplémentaires en Europe dès cette année.
Mercredi, lors d’une conférence de presse conjointe avec son homologue allemande, Annalena Baerbock, la ministre Mélanie Joly a aussi dit avoir eu avec l’Allemagne « des discussions » sur certains projets énergétiques canadiens, dont de gaz naturel liquéfié. Le chancelier allemand, Olaf Scholz, doit lui aussi effectuer une visite au Canada en août dans le but de « nouer des partenariats stratégiques » en la matière.