Le PLQ dénonce la censure du CRTC

Le Parti libéral du Québec (PLQ) dénonce la censure exercée par le Conseil canadien de la radiodiffusion canadienne (CRTC) à la suite de sa décision blâmant Radio-Canada pour la mention en ondes du titre du livre Nègres blancs d’Amérique de Pierre Vallières.
Le député Frantz Benjamin a condamné mercredi le jugement de l’organisme réglementaire fédéral, rendu public la semaine dernière. « C’est une dérive, il faut la déplorer fermement, a-t-il déclaré en entrevue au Devoir. Pour nous, ça ressemble beaucoup plus à une censure. »
Contrairement au CRTC, M. Benjamin n’a constaté aucun manque de sensibilité de Radio-Canada dans l’utilisation du mot en n, lors d’une émission diffusée il y a près de deux ans.
« Au PLQ, nous sommes un parti attaché à la liberté d’expression, et cette décision a plus à voir avec la censure qu’avec un manque de sensibilité », a-t-il dit.
Le député élu dans la circonscription montréalaise de Viau était d’ailleurs lui-même à l’écoute de l’émission Le 15-18, en novembre 2020, lorsqu’il a été question du titre du livre de M. Vallières, publié en 1968, et de la controverse qu’il suscitait. « Je ne me suis nullement senti blessé par le commentaire, a dit M. Benjamin, lui-même membre des communautés noires. Ça a été fait de façon respectueuse, responsable, en citant le titre du livre. »
La semaine dernière, dans sa décision, le CRTC a demandé à Radio-Canada de s’excuser à la suite d’une plainte consécutive à l’utilisation du mot en n dans ce segment de l’émission. Le diffuseur public n’a pas encore réagi, mais plusieurs de ses employés, actuels et passés, ainsi que des personnalités influentes du monde des médias, ont dénoncé cette atteinte à la liberté de presse.
Mardi, le premier ministre François Legault a déclaré que ce serait plutôt au CRTC de s’excuser pour avoir ainsi contrevenu à la liberté d’expression.
Tenir compte du contexte
M. Benjamin a insisté à son tour sur l’importance de préserver les médias comme lieu de débats, où les journalistes doivent pouvoir travailler en toute liberté. « Je ne serai jamais pour ceux qui disent qu’il faut interdire ce mot-là sur toutes les tribunes », a-t-il expliqué.
Selon le député, il faut tenir compte du contexte dans lequel le mot en n est utilisé.
« Vous arrivez en Haïti, on voit que vous êtes une bonne personne, on va dire : “c’est un bon nègre”. Vous serez une bonne personne », a-t-il expliqué, en ajoutant que cela n’a rien à voir avec la couleur de la peau.
De la même façon, ce mot a une charge différente en anglais, précise le député. « Quand on regarde l’historicité de ce mot, la portée, quand on l’utilise en français et quand on l’utilise en anglais, n’est pas pareille », a-t-il dit.
Mais il conserve dans les deux langues son pouvoir dégradant.
« Je me suis fait traiter du mot en n dans les rues de Montréal, et à ce moment-là, vous ne pouvez pas savoir, quand on utilise ce mot pour vous invectiver, ce que ça fait comme sentiment, comme blessure, comme humiliation, c’est terrible », a-t-il dit.
Plutôt que d’exiger des excuses de Radio-Canada, le CRTC devrait plutôt se concentrer sur le manque de diversité dans les médias publics et privés et sur la représentation parfois caricaturale des membres des communautés noires, croit M. Benjamin. « Ce débat est un écran de fumée qui nous empêche de faire un vrai débat sur ce qui concerne véritablement les membres des communautés noires », a-t-il dit.
« Mettre ses culottes »
La ministre de la Culture et des Communications, Nathalie Roy, a déclaré mercredi que le gouvernement fédéral ne pouvait pas se réfugier derrière l’indépendance du CRTC pour s’empêcher d’intervenir dans le dossier.
« Le CRTC est une création fédérale, alors je pense que c’est au ministre responsable, c’est au gouvernement fédéral, de mettre ses culottes et de remettre au pas le CRTC », a-t-elle dit avant de se rendre à une réunion du Conseil des ministres.
Mardi, Mme Roy a écrit à ce sujet à son homologue fédéral, Pablo Rodriguez, ministre du Patrimoine canadien.
Elle a expliqué que la décision du CRTC concernant la mention du mot en n en 2020 durant l’émission Le 15-18, diffusée à Montréal, crée un dangereux précédent pour la liberté de presse.
« Cette décision, c’est une insulte, c’est de la censure, a-t-elle affirmé. Cette décision a été rendue sans tenir compte de la provenance des propos, c’est une émission d’affaires publiques. »
Le cabinet de M. Rodriguez n’a pas été en mesure de donner suite, dans le temps imparti, à une demande du Devoir à ce sujet.