Un nouveau climat de guerre froide à l’OTAN

Le premier ministre Justin Trudeau s’entretenait avec le président américain, Joe Biden, au début de la première session plénière du sommet de l’OTAN, où les dirigeants de l’organisation ont abordé une «refonte» de leur «défense collective».
Photo: Gabriel Bouys Agence France-Presse Le premier ministre Justin Trudeau s’entretenait avec le président américain, Joe Biden, au début de la première session plénière du sommet de l’OTAN, où les dirigeants de l’organisation ont abordé une «refonte» de leur «défense collective».

Les pays membres de l’OTAN ont ouvert leur sommet à Madrid en promettant de renforcer leur présence sur le flanc est de l’Europe, à des niveaux jamais vus depuis la fin de la guerre froide. Le premier jour de la rencontre des dirigeants de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord aura surtout servi à hausser le ton face à la Russie et son invasion de l’Ukraine. Le Canada a promis d’apporter sa contribution sur le plan diplomatique, en ouvrant de nouvelles ambassades, et sur le plan militaire, en Lettonie — quoique les détails sur ce front devront attendre à plus tard.

Dès son arrivée au sommet de l’OTAN, le président américain, Joe Biden, a annoncé que les États-Unis déploieront une nouvelle brigade en rotation en Roumanie, où la France dirige un groupe tactique, et établiront un quartier général permanent en Pologne, afin de coordonner les efforts de défense en Europe de l’Est si la Russie tente d’étendre ses opérations. Les Américains enverront également deux escadrons de chasseurs F-35 supplémentaires en Grande-Bretagne et mettront sur pied des systèmes de défense aériens en Allemagne et en Italie. « Nous devons nous assurer que l’OTAN est prête depuis la terre, l’air et la mer », a prévenu Joe Biden en matinée. « Nous démontrons que l’OTAN est plus nécessaire et plus importante que jamais. »

Quelques heures plus tard, le Canada et la Lettonie ont signé une déclaration commune qui viendra rehausser la présence de l’OTAN dans le pays balte, frontalier avec la Russie. Le Canada, qui y dirige un commandement de ses troupes et de celles de neuf autres pays alliés, poursuivra ses opérations encore cinq ans. « Et probablement plus », a laissé présager le ministre letton de la Défense, Artis Pabriks.

Son homologue canadienne, Anita Anand, était avare de détails en conférence de presse en fin de journée mercredi. « Nous allons fournir davantage de troupes, avec nos alliés. Mais nous devons discuter [avec ces alliés] à savoir combien de forces supplémentaires seront déployées par chacun des dix membres de la présence avancée renforcée », a-t-elle affirmé. Idem pour l’équipement et les capacités militaires qui devront être consentis à la Lettonie. Ces conversations ont débuté, mais les deux ministres n’ont pas su prédire quand elles seront terminées.

L’objectif sera de bonifier la présence de l’OTAN dans le pays, qui rassemble actuellement un groupe tactique de 1500 soldats, dont 700 Canadiens. Le déploiement atteindra la taille d’une brigade apte au combat, qui compte généralement 5000 à 6000 militaires. Le ministre Pabriks a fait savoir qu’il espérait que « cette brigade soit prête au combat dès les premiers moments, dès le premier millimètre » d’une invasion — sans fixer d’échéancier.

Le ministre letton n’a pas mâché ses mots quant à la menace impériale russe, qui est aux portes de son pays. « Nous devons tous comprendre, et les Canadiens à la maison doivent comprendre, que l’Ukraine mène cette guerre pour nous tous. […] Et si elle échoue, il y a une grande chance que la Russie mène sa prochaine guerre contre nous tous. »

L’Allemagne et le Royaume-Uni, qui dirigent des missions de l’OTAN en Lituanie et en Estonie respectivement, s’étaient déjà aussi engagés à y accentuer leurs efforts.

Le soutien à toutes les sauces

Le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a salué le prolongement de la contribution canadienne en Lettonie avant même que les deux pays concernés ne la confirment publiquement. La signature de l’entente s’est faite rapidement, en après-midi.

L’Alliance atlantique prévoit en outre mobiliser 300 000 soldats, qui seront prêts à se déployer rapidement pour offrir des renforts sur le terrain, si nécessaire (ils sont 40 000 sur le qui-vive actuellement). Ceux-ci seraient « préassignés » à une région précise, iraient se familiariser avec le terrain, y déploieraient de l’équipement de façon préventive, pour ainsi pouvoir y être envoyés dès une incursion russe. M. Stoltenberg avait prévenu, en ouverture de ce premier sommet depuis l’invasion russe en Ukraine, que les 30 pays membres — qui compteront bientôt deux nouveaux partenaires, la Suède et la Finlande, comme convenu mardi — conviendraient cette semaine à Madrid « de la plus grande refonte de notre défense collective depuis la fin de la guerre froide ».

Quatre nouvelles ambassades

 

Le Canada a par ailleurs annoncé l’ouverture d’ambassades à part entière en Estonie et en Lituanie — actuellement sous l’égide de l’ambassade de Lettonie. Cette dernière sera agrandie et relogée dans un nouveau bâtiment. Des ambassadeurs seront également nommés en Slovaquie et en Arménie. Le tout pour un investissement de 95 millions de dollars. « Plus que jamais, le Canada doit avoir des yeux et des oreilles sur le terrain », a argué la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly.

Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a de nouveau demandé de l’aide aux partenaires de l’OTAN, en matinée. Plus précisément des systèmes de défense antiaérienne, des armes modernes qui ne datent pas de l’ère soviétique et un soutien financier, l’Ukraine dépensant cinq milliards de dollars par mois pour se défendre.

L’avertissement était le même que celui lancé par d’autres : « Si la Russie nous détruit, elle vous détruira », a-t-il insisté.

La Russie, elle, a dénoncé « l’agressivité » de l’OTAN à son endroit. « Le sommet de Madrid consolide le cap d’un endiguement agressif de la Russie par le bloc “atlantique” », a raillé le vice-ministre des Affaires étrangères, Sergueï Riabkov, selon BFMTV.

L’OTAN a cependant résolument choisi son camp. Le pays hôte avait même invité l’orchestre de Kiev pour accueillir les dirigeants de l’Alliance avant leur souper de groupe en soirée.

Encore la cible de 2 % du PIB

Dans cet esprit de riposte historique à la Russie, les pays membres ont par ailleurs réitéré leur engagement à dépenser 2 % de leur PIB en matière de défense. Le dernier rapport du secrétaire général Stoltenberg indiquait lundi que le Canada dépenserait cette année 1,27 % du sien, en baisse par rapport au 1,36 % du PIB évalué pour 2021.

« Si nous réduisons nos dépenses militaires lorsque les tensions s’apaisent, nous devons être en mesure de les augmenter lorsque les tensions sont à la hausse et que nous vivons dans un monde plus dangereux », a commenté M. Stoltenberg.

Le gouvernement canadien fait valoir qu’il a augmenté ses budgets de la Défense au cours des dernières années et qu’il contribue généreusement aux efforts de l’OTAN en Europe de l’Est.

L’annonce d’un prolongement du commandement canadien en Lettonie envoie effectivement un « message fort de soutien continu à l’OTAN », qui permettra de compenser la hauteur « peu reluisante » de ses dépenses militaires, a réagi Robert Baines, président de l’Association canadienne pour l’OTAN.

Le président de l’Institut canadien des affaires mondiales, David Perry, trouve logique que le Canada concentre ses efforts en Lettonie, où il est déjà engagé. Le Canada tentera maintenant de convaincre ses alliés de bonifier eux aussi leur présence dans la région, et il pourrait se procurer une capacité limitée de défense aérienne, selon ce qu’a semblé, d’après lui, suggérer la ministre Anand.

Ce reportage a été financé grâce au soutien du Fonds de journalisme international Transat-Le Devoir.

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