Jolin-Barrette veut que la Cour du Québec renonce à faire siéger ses juges moins souvent

Le ministre de la Justice du Québec, Simon Jolin-Barette au début du mois de mai 2022.
Jacques Boissinot La Presse canadienne Le ministre de la Justice du Québec, Simon Jolin-Barette au début du mois de mai 2022.

Le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, a une fois de plus demandé jeudi à la Cour du Québec de renoncer à réduire le temps que passeront ses juges sur le banc, dans la foulée de la démission d’un magistrat de la présidence de la Conférence des juges de la Cour du Québec (CJCQ).

Le Devoir a révélé jeudi matin que le juge Serge Champoux a quitté son poste de président de la CJCQ afin de marquer son désaccord avec les méthodes de la juge en chef de la Cour du Québec, Lucie Rondeau. « Jamais je n’aurais proposé de ralentir notre prestation de travail, par exemple, pour mettre de la pression sur le politique et ainsi espérer faire des gains », écrit-il notamment dans un courriel de démission qu’il a partagé le 20 mai avec l’ensemble des juges et juges suppléants de cette cour.

Le juge Champoux a ainsi inscrit sa dissidence face à la décision de la Cour du Québec de faire siéger ses juges une journée sur deux — plutôt que deux journées sur trois — à compter de septembre. Pour atténuer les délais judiciaires que ce changement pourrait causer, la juge Rondeau réclame que Québec nomine 41 juges.

« Les Québécois ont raison d’être inquiets des répercussions majeures qu’entraînerait la décision unilatérale de la Cour du Québec sur les délais judiciaires », a fait savoir le ministre Jolin-Barrette jeudi. « Cette décision irait à l’encontre des efforts qui sont déployés par tous les intervenants du milieu. […] Le gouvernement du Québec, comme d’autres acteurs du système de justice, demande à la direction de la Cour de revenir sur sa décision. »

Un bras de fer « qui ne sert personne »

À l’Assemblée nationale, le député solidaire Alexandre Leduc a joint sa voix à celle du ministre en suggérant à la juge Rondeau de « réfléchir à réviser sa position ».

Selon lui, Simon Jolin-Barrette et la juge en chef doivent trouver un terrain d’entente et cesser ce bras de fer qui « ne sert à personne ». Le gouvernement devrait aussi être plus à l’écoute du milieu judiciaire, qui « fait face à de la pénurie de main-d’œuvre et des retards », a-t-il déclaré au Devoir. La demande de la juge Rondeau quant à la nomination de 41 magistrats de plus semble également fondée, a soutenu M. Leduc. Ce dernier estime que d’autres solutions existent aussi pour réduire les délais dans le milieu de la Justice, notamment une bonification de l’aide juridique.

Le député libéral André Fortin a de son côté dit vouloir savoir « pourquoi » la Cour du Québec a pris la décision de réduire le « temps siégé » de ses juges. Jusqu’ici, la juge Rondeau a justifié sa décision en plaidant notamment que le travail des juges s’est complexifié au fil des ans, et nécessite donc plus de temps hors des salles de cour — pour rédiger des décisions, par exemple.

Le député Fortin s’est avancé sur une autre piste d’explication. « [La décision de la Cour] a pu être prise justement parce qu’on manque de greffiers, parce qu’on manque d’agents de sécurité, parce qu’on manque de personnel dans nos cours de justice, dans nos palais de justice au Québec », a-t-il avancé. À son avis, le gouvernement doit « répondre aux besoins de nos palais de justice » en matière de main-d’œuvre « pour s’assurer qu’on puisse siéger le plus possible, d’entendre le plus de causes possible, et qu’on ne se retrouve pas dans une situation malheureuse comme celle-là ».

En entrevue au Journal de Montréal plus tôt cette semaine, le juge en chef de la Cour supérieure, Jacques Fournier, a dit avoir interpellé le gouvernement à plusieurs reprises depuis deux ans au sujet du manque de personnel judiciaire de soutien. Son homologue de la Cour du Québec, la juge Rondeau, en a fait autant.

Au Parti québécois, Joël Arseneau a attribué la dissension du juge Champoux au « manque de leadership du gouvernement à collaborer avec l’appareil judiciaire » pour contrer les effets de la pénurie de main-d’œuvre. « On a vu ce qui s’était passé avec l’arrêt Jordan il y a quelques années, et là, on est en train de voir le même scénario se dérouler. Et le gouvernement, particulièrement le ministre de la Justice, plutôt que de prendre ce problème à bras-le-corps (en collaboration notamment avec la juge en chef), continue à vouloir faire une bataille de coqs avec elle sur 1001 sujets, alors c’est improductif », a-t-il dénoncé.

Le ministre Jolin-Barrette et la juge Rondeau ont des divergences de points de vue dans le dossier du bilinguisme des juges et dans celui de l’instauration d’un tribunal spécialisé en violences conjugale et sexuelle.

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