Ottawa forcera le financement des médias par Facebook et Google

Le gouvernement Trudeau a déposé mardi son projet de loi qui propose de financer les médias d’information du Canada à même les revenus des plus gros joueurs du Web. Il confère au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) le rôle de décider si Google et Facebook financent suffisamment la production de nouvelles au pays.

« On a besoin d’un écosystème de nouvelles qui est dynamique, en bonne santé. Et comme vous le savez, le secteur est en crise, et ça contribue à rehausser la méfiance du public et la hausse de la désinformation nuisible […]. Les géants du Web vont devoir rendre des comptes, contribuer à un écosystème [qui] renforce notre démocratie », a déclaré le ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez, en conférence de presse mardi.

Le ministre a présenté les deux plus importants géants du Web, Google et Facebook, comme des entités profitant du partage des contenus de médias canadiens « sans avoir à vraiment payer pour ». Son projet de loi C-18, déposé devant le Parlement mardi, « cherche à remédier à ce déséquilibre du marché » en forçant la main aux négociations entre les médias et les plateformes.

Le texte donne au CRTC le rôle de « régulateur » de cette nouvelle loi. L’organisme, qui gère actuellement la radio et la télévision au pays — à qui on donne en plus le rôle de réguler la diffusion d’émissions en ligne dans un autre projet de loi —, aura pour mission de juger de la valeur des ententes conclues entre les entreprises de nouvelles et les plateformes qui partagent leur contenu.

Si le total de leurs ententes est jugé insuffisant, selon six critères, ces grandes plateformes seront soumises à un processus d’arbitrage obligatoire, soit un comité indépendant qui tranchera des montants à verser aux médias. Seules les entreprises « dominantes » dans le marché des moteurs de recherche et des médias sociaux sont visées, soit « très probablement Google Recherche et Facebook », qui récoltent ensemble 80 % des revenus publicitaires en ligne. Aucun autre type de plateforme n’est visé par la loi.

Comme l’avait rapporté Le Devoir, le gouvernement fédéral a décidé de s’inspirer fortement du modèle de l’Australie pour forcer les géants du Web à partager leurs revenus avec les médias, mais en incluant des critères favorisant le financement de plus petites organisations de presse. Le ministre souhaite ainsi tirer entre 150 et 200 millions de dollars par année des plateformes pour financer le journalisme canadien.

Ententes pour éviter l’arbitrage

Tant Facebook que Google ont déjà conclu des ententes, de montants gardés confidentiels, avec 18 et 11 médias respectivement, incluant Le Devoir. Le CRTC devra donc les étudier dans les six à douze prochains mois afin de déterminer si ces plateformes peuvent déjà être exemptées d’arbitrage. Ces ententes pourraient être révisées, et de nouvelles pourraient être conclues avec un plus grand nombre de médias, qui ont le droit à la négociation collective.

Le régulateur devra se baser sur une série de critères pour juger de la valeur globale des ententes : qu’une indemnisation équitable soit offerte aux entreprises de nouvelles ; que l’indemnisation soit utilisée pour soutenir la production de nouvelles locales, régionales et nationales ; que les médias conservent leur indépendance et leur liberté d’expression ; que les plateformes contribuent à « la viabilité de l’écosystème canadien des nouvelles », ainsi qu’à la viabilité des médias locaux et indépendants ; et enfin que les ententes visent un éventail de médias qui reflètent les langues, les groupes racialisés ou les Autochtones, par exemple.

Le CRTC doit élaborer un « code de conduite » auquel doivent souscrire les parties pour négocier. En cas de violations répétées de la loi, l’organisme peut imposer jusqu’à 15 millions de dollars d’amende.

Tout média écrit et numérique déjà reconnu comme une organisation journalistique canadienne qualifiée (OJCQ) est admissible à recevoir un financement en vertu de cette loi. S’ajoutent aussi les médias d’information à la radio et à la télévision, privés ou publics, et même des médias étrangers qui emploient deux journalistes et plus pour la production de nouvelles au Canada.

Ni les partis d’opposition ni les principales plateformes visées n’ont souhaité critiquer le projet de loi libéral au jour de son dévoilement. La filiale Google Canada a indiqué être « impatient[e] de travailler avec le gouvernement pour renforcer l’industrie de l’information », alors qu’une porte-parole de Meta, la compagnie mère de Facebook, a écrit dans un courriel vouloir « collaborer avec les intervenants politiques ».

Le Parti conservateur du Canada a fait savoir qu’il appuie l’idée d’une rémunération équitable des médias par les plateformes Google et Facebook. La députée Christine Normandin, du Bloc québécois, a qualifié le projet de loi de « pas dans la bonne direction », et a laissé entendre que son parti tentera d’incorporer un fonds de redevance servant à financer les plus petits médias. Dans une déclaration, le Nouveau Parti démocratique (NPD) fait valoir que c’est grâce à sa pression que le gouvernement a décidé d’agir.

Avec Annabelle Caillou

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