Vaccination obligatoire: l’étonnante timidité de Québec, d’ordinaire plus ferme

Dix des treize provinces et territoires ont imposé la vaccination à leurs fonctionnaires, ou à tout le moins à leurs travailleurs de la santé.
Photo: Matias Delacroix Associated Press Dix des treize provinces et territoires ont imposé la vaccination à leurs fonctionnaires, ou à tout le moins à leurs travailleurs de la santé.

Chaque mercredi, notre correspondante parlementaire à Ottawa Marie Vastel analyse un enjeu de la politique fédérale pour vous aider à mieux le comprendre.

Le Québec a successivement adopté certaines des mesures les plus contraignantes au pays pour tenter de gérer la pandémie. Les homologues de François Legault lui ont parfois emboîté le pas, ailleurs au Canada, ou ont au contraire jugé, souvent, qu’il allait trop loin. Mais cette hardiesse du gouvernement Legault contraste avec la timidité qu’il démontre en matière de vaccination obligatoire des employés de l’État. Sur ce front, le Québec est presque le seul à avoir résisté. Le gouvernement évoque des contraintes légales ; d’autres y voient plutôt une décision politique inexpliquée.

Dix des treize provinces et territoires ont imposé la vaccination à leurs fonctionnaires, ou à tout le moins à leurs travailleurs de la santé (dans le cas de la Colombie-Britannique, de l’Alberta et de l’Ontario, cette dernière ne l’ayant toutefois imposée que dans les centres de soins de longue durée). L’Île-du-Prince-Édouard et le Nunavut font, comme le Québec, bande à part. Partout ailleurs, les récalcitrants risquent un congé sans solde. Quoiqu’au Manitoba, au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse, dans les Territoires du Nord-Ouest et en Saskatchewan (qui n’exige la vaccination que pour ses sociétés de la Couronne), l’option des tests rapides est permise.

Au fédéral, les fonctionnaires, les sous-traitants, les travailleurs des industries ferroviaire et aérienne ainsi que les camionneurs transfrontaliers doivent prouver qu’ils sont entièrement vaccinés.

« C’est au Québec qu’il y a eu les mesures les plus sévères dans divers secteurs. Mais le gouvernement a été très réticent à imposer la vaccination pour certaines activités, comme l’emploi ou l’éducation », observe la professeure de droit à l’Université d’Ottawa, Carissima Mathen.

François Legault a été le premier à instaurer un passeport vaccinal. Il a été le seul à décréter un couvre-feu. Et il a soulevé l’indignation du Canada anglais en annonçant l’imposition prochaine d’une contribution santé aux non-vaccinés.

Bien que le gouvernement Legault soit déterminé à forcer la main de ces derniers dans la société, il refuse cependant de passer pour ce faire par l’imposition de la vaccination comme condition d’emploi dans le secteur public.

En coulisse, on évoque des considérations légales. Le droit de travailler et de gagner sa vie est protégé par la Charte canadienne des droits et libertés. L’enfreindre serait une atteinte trop importante à un droit fondamental, et la mesure serait susceptible d’être invalidée par les tribunaux, selon Québec.

Pourtant, le gouvernement fédéral et ceux de la majorité des provinces sont allés de l’avant, présumément en ayant en poche leurs propres avis légaux. Ottawa assure que sa politique est conforme à la Charte, à la Loi canadienne sur les droits de la personne ainsi qu’aux conventions collectives de ses syndicats. La Commission canadienne des droits de la personne tranchait en outre, fin octobre, en expliquant que « les droits ne sont pas absolus », que des « limites raisonnables peuvent être imposées […] lorsqu’il s’agit de santé et de sécurité publiques », et qu’exiger « qu’une personne soit vaccinée pour pouvoir travailler ou voyager n’est pas discriminatoire ».

La professeure Mathen et ses collègues juristes sondés par Le Devoir sont tous d’avis qu’un gouvernement pourrait tenter de justifier devant les tribunaux une atteinte, dans le contexte pandémique, aux droits garantis par les chartes canadienne et québécoise. Ou encore invoquer la disposition de dérogation, pour s’en décharger.

« Je m’étonne qu’un gouvernement qui n’hésite pas à invoquer fréquemment la disposition de dérogation fasse de ces considérations en lien avec les libertés fondamentales une question de principe pour justifier sa décision de ne pas aller de l’avant », observe le professeur de droit de l’Université de Montréal Stéphane Beaulac.

Même lorsque le gouvernement Legault tentait d’imposer la vaccination aux travailleurs de la santé (avant de reculer, de peur de manquer de personnel), il n’a jamais été question de l’imposer à l’ensemble du secteur public.

Il faut dire que certains ont reproché à Justin Trudeau d’avoir imposé une directive purement « politique » à des centaines de milliers de fonctionnaires terrés seuls chez eux en télétravail.

Le ministre québécois du Travail, Jean Boulet, soulignait justement récemment sur les ondes de Radio-Canada que « dans le secteur public, on y va beaucoup par l’utilisation du télétravail, qui est vraiment l’organisation de travail qui permet le mieux de lutter contre les effets de la pandémie ».

Cela pose un problème éthique, un problème d’image et un problème de légitimité de l’État, parce que l’État lui-même fait pression pour que tout le monde soit vacciné, mais ses employés ne sont pas obligés de l’être

 

Mais ce n’est pas cette explication qui est brandie par le gouvernement Legault, qui s’en tient plutôt à des arguments purement légaux.

Le politologue Daniel Béland soupçonne aussi « des enjeux politiques et peut-être même électoraux ».

La vaccination obligatoire des travailleurs du secteur public forcerait la main de quelques dizaines de milliers d’entre eux, tandis qu’élargir le passeport vaccinal aurait une portée plus large dans la population générale. « Mais cela pose un problème éthique, un problème d’image et un problème de légitimité de l’État, parce que l’État lui-même fait pression pour que tout le monde soit vacciné, mais ses employés ne sont pas obligés de l’être », ajoute le professeur de sciences politiques à l’Université McGill.

Le gouvernement Legault souhaite peut-être en outre éviter, à quelques mois des élections, de provoquer l’ire de ses milliers de fonctionnaires qui sont syndiqués, « très bien organisés » et « concentrés géographiquement dans une région importante pour la CAQ sur le plan politique », à Québec.

Cette limite aux recours que François Legault est prêt à envisager pour convaincre enfin les non-vaccinés ne date pas d’hier. Mais elle détonne de plus en plus, pour un premier ministre qui cherche à leur serrer la vis encore davantage et qui n’a jamais hésité à se montrer le plus contraignant au Canada.

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