Le patron d’Air Canada s’excuse… après avoir ignoré les avertissements

Frappé par une vague d’indignation due à son unilinguisme, et même à des appels à sa démission, le grand patron d’Air Canada, Michael Rousseau, s’est finalement excusé. Son équipe avait cependant été prévenue par le commissaire aux langues officielles qu’un discours uniquement en anglais causerait un tollé. Le p.-d.g. a ignoré ces avertissements, et la prédiction du commissaire Raymond Théberge s’est confirmée, son bureau ayant reçu plus de 200 plaintes en 24 heures.

Le commissaire s’est avoué surpris, jeudi, de l’ampleur de la réaction. Un discours du genre attire habituellement une dizaine de plaintes, a confié M. Théberge au Devoir. « C’est un nombre important. Ça démontre à quel point ça a touché une corde sensible chez les gens », a-t-il observé en milieu de journée, lorsque le chiffre n’était encore que de 60 plaintes.

À elle seule, Air Canada fait l’objet d’une moyenne de 85 à 100 plaintes par année. Or, l’allocution en anglais de son président et chef de la direction devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain mercredi en avait déjà valu plus de 200 à l’entreprise en fin de journée jeudi.

À la suite de ce discours, mercredi, Michael Rousseau avait avoué qu’il vivait en anglais au Québec sans grande difficulté depuis 14 ans. L’homme d’affaires — dont l’épouse et la mère sont francophones — avait invoqué son « horaire de travail » pour expliquer ne pas avoir appris la langue de Molière.

Dans un communiqué diffusé jeudi matin, M. Rousseau écrivait désormais n’avoir « d’aucune façon » voulu « manquer de respect à l’égard des Québécois et des francophones de tout le pays ».

Pourtant, l’équipe du commissaire aux langues officielles avait averti Air Canada en début de semaine — lorsque le Journal de Montréal a révélé comment les choses se dérouleraient — qu’un discours en anglais uniquement, livré par le p.-d.g. d’une entreprise soumise à la Loi sur les langues officielles, était préoccupant. L’allocution a néanmoins été prononcée presque entièrement en anglais, hormis quelques petites phrases lues dans un français laborieux.

« J’entrevoyais une certaine polémique, sinon une crise, autour de ce discours. Mais ça dépasse ce que j’attendais », a avoué le commissaire Théberge.

Malgré les excuses, la majorité des partis d’opposition à Québec comme à Ottawa ont réclamé la démission de M. Rousseau. Les gouvernements de François Legault et de Justin Trudeau ne sont cependant pas allés aussi loin.

Le premier ministre québécois, qui se trouve encore à la COP26, à Glasgow, en Écosse, a tout de même avancé que le conseil d’administration d’Air Canada devrait se demander si son président actuel est toujours à sa place.

« J’ai regardé la vidéo de M. Rousseau et je trouve ça insultant, ça me met en colère, son attitude, de dire que ça fait 14 ans qu’il est au Québec et qu’il n’a pas eu besoin d’apprendre le français. C’est inqualifiable, ça me choque », a scandé François Legault.

Du côté d’Ottawa, la ministre des Langues officielles, Ginette Petitpas Taylor, a dénoncé les propos « tout simplement inacceptables » de Michael Rousseau. « J’ai pris acte de ses excuses, mais elles doivent être suivies d’actions concrètes afin [qu’il démontre] qu’il prend ses obligations au sérieux. C’est une question de respect », a-t-elle argué par écrit.

Les regrets du p.-d.g. ont en quelque sorte envenimé la polémique à Québec. « Je présente mes excuses à ceux que mes propos ont offensés. Je m’engage aujourd’hui à améliorer mon français, langue officielle du Canada et langue d’usage au Québec », a fait valoir M. Rousseau dans son communiqué de presse.

Ce qui a piqué au vif le ministre québécois responsable de la Langue française, Simon Jolin-Barrette. « Le français, ce n’est pas la langue d’usage », a-t-il rétorqué. « La langue officielle du Québec est le français. J’espère que M. Rousseau comprend ça », a-t-il lancé. Lui aussi estime que l’attitude du p.-d.g. est « indigne de ses fonctions », mais il juge, comme le premier ministre Legault, que le sort de M. Rousseau à la tête d’Air Canada « appartient au conseil d’administration ».

Sommé de démissionner

 

Les partis d’opposition n’ont pas fait preuve de la même retenue.

Le libéral André Fortin a réclamé non seulement des excuses au patron d’Air Canada, mais aussi « qu’il démissionne de son poste et que les entreprises de compétence fédérale soient assujetties à la Charte de la langue française ».

Même son de cloche du côté de l’élue solidaire Ruba Ghazal, qui a dit souhaiter que M. Rousseau quitte ses fonctions. La députée, née au Liban, a en outre rappelé qu’elle et sa famille avaient appris le français à leur arrivée au Québec, alors que Michael Rousseau n’a pas fait pareil. « Juste cette attitude-là est un symbole du monde des affaires », a-t-elle déploré. Un reproche adressé également par la libérale Marwah Rizqy, dont la mère, une immigrante « avec quatre enfants », « sans argent », a trouvé le temps d’apprendre le français.

Sur la scène fédérale, le député du Bloc québécois Mario Beaulieu a demandé au gouvernement fédéral « d’user de sa position d’actionnaire d’Air Canada afin d’exiger la démission de M. Rousseau ».

Le néodémocrate Alexandre Boulerice a aussi réclamé le départ du patron d’Air Canada, qui selon lui « crache dans le visage des Québécoises et Québécois et de tous les membres des communautés francophones au pays ».

Le Parti conservateur a condamné le discours en anglais de Michael Rousseau, mais n’a pas évoqué sa démission.

Retournons sur la scène provinciale. Le chef péquiste, Paul St-Pierre Plamondon, a réclamé des excuses à M. Rousseau et un engagement de sa part à apprendre le français. « Mais je ne veux pas qu’on s’enfarge dans des trucs de surface. Application de la loi 101 à Air Canada. C’est ça, notre demande », a-t-il résumé.

Le ministre Jolin-Barrette, qui pilote le projet de réforme de la loi 101 du gouvernement Legault, a rappelé que son projet de loi vise à étendre la portée de la Charte de la langue française aux entreprises de compétence fédérale. « On n’attendra pas après Ottawa qu’ils agissent, parce que ça fait 40 ans qu’ils n’agissent pas sur ce sujet-là avec Air Canada », a-t-il ajouté.

Avec La Presse canadienne

À voir en vidéo