La mairie de Lévis, à la croisée des chemins

Gilles Lehouillier est allé à la rencontre d’électeurs au Marché Carrier dans le quartier de Pintendre, à Lévis. Celui qui a remporté ses dernières élections avec 92% des voix met en avant la prospérité économique de la ville.
Photo: Renaud Philippe Le Devoir Gilles Lehouillier est allé à la rencontre d’électeurs au Marché Carrier dans le quartier de Pintendre, à Lévis. Celui qui a remporté ses dernières élections avec 92% des voix met en avant la prospérité économique de la ville.

À Lévis, on vote peu, et tous du même côté, à tel point que le maire actuel, Gilles Lehouillier, contrôle tous les sièges au conseil municipal. Cette année, un nouveau parti politique est venu animer la vie démocratique, mais la tâche reste ardue.

Aux dernières élections, le maire Lehouillier avait remporté les suffrages avec pas moins de 92 % des voix. Au conseil municipal, un seul élu sur quinze n’était pas de son parti.

Puis « il a muselé toute opposition en nommant la seule personne qui ne faisait pas partie de son équipe au très important comité des finances de la Ville », dénonçait l’ancien maire Jean-Luc Daigle de Saint-Romuald, dans une lettre parue fin septembre dans Le Soleil.

C’est dans ce contexte d’apparent unanimisme qu’est né le parti Repensons Lévis. Fondé par quatre jeunes amateurs de politique, ce parti s’est lancé dans l’arène municipale avec le but déclaré d’y ramener de la concurrence.

Son chef, Elhadji Mamadou Diarra, répète que Lévis est « à l’aube d’une nouvelle ère », alors que Gilles Lehouillier met en avant la prospérité économique de la ville et promet de mieux mettre en valeur le fleuve et ses affluents, comme la rivière Chaudière.

Trois autres candidats indépendants sont dans la course : Chamroeun Khuon un ancien candidat néodémocrate, la femme d’affaires Maryse Labranche et André Voyer, qui avait été défait par M. Lehouillier en 2017 avec 8 % des voix.

Cette semaine, ils participaient tous à un débat devant des étudiants du cégep de Lévis à l’invitation de leur professeur de science politique. À la fin de l’activité, quatre jeunes femmes croisées par Le Devoir disaient avoir été particulièrement intéressées par les échanges sur la dette et l’environnement. « Ça a été le fun de voir les différences entre tous les partis », de dire l’une d’elles. Les quatre étaient résolues à voter le 7 novembre prochain.

Photo: Renaud Philippe Le Devoir Le parti Repensons Lévis est né d’un désir de remettre en question l’unanimisme à Lévis.

L’une des cégépiennes disait toutefois avoir eu du mal à comprendre M. Voyer, dont le propos était plus intellectuel, citations d’Emmanuel Kant ou d’Alain Deneault à l’appui. Préoccupé par l’urgence climatique, ce dernier s’est montré également alarmiste sur l’environnement démocratique de sa ville. « 70 000 personnes n’ont pas voté du tout aux dernières élections », déplorait-il.

Avec un taux de participation de 36,5 %, Lévis se classait en effet loin derrière Montréal et Québec en 2017, mais un peu au-dessus de Longueuil et de Laval.

Une grande ville calme

 

Face à Québec, l’attitude des électeurs de Lévis dénote « soit une plus grande indifférence, soit une satisfaction » vis-à-vis de la mairie, écrivaient les chercheurs Serge Belley, Louise Quesnel et Paul Villeneuve dans un ouvrage sur les municipales paru il y a dix ans.

Cette année-là à Lévis, la popularité de la mairesse Danielle Roy-Marinelli était telle qu’elle avait été élue par acclamation. Un phénomène courant dans les petites municipalités, mais « rare » dans les villes de plus de 100 000 habitants, notaient les auteurs. Avec ses 150 000 habitants, Lévis est aujourd’hui la septième du Québec en importance.

Comment expliquer cette apathie sur le plan politique ? « C’est vraiment un drôle de cas », souligne Philippe Dubois, doctorant et chercheur en politique municipale à l’Université Laval. « On peut faire l’hypothèse que comme ça a été, historiquement, une ville dans l’ombre de sa grande sœur, Québec, et marquée par un morcellement de petites chasses gardées, elle est encore dans la construction d’une véritable scène politique municipale commune à la nouvelle ville de Lévis. »

S’ajoute le monde de vie propre à la banlieue. Une véritable « ville-dortoir », se désolait la candidate Maryse Labranche lors d’un autre débat à la radio cette semaine. Comment expliquer qu’une grande ville comme Lévis n’ait pas de grande salle de spectacle ? faisait-elle valoir. « Ça n’existe pas ici, il faut aller à Québec. » Également préoccupé par ce manque de vitalité culturelle, le candidat Chamroeun Khuon a quant à lui proposé d’organiser plus « d’événements festifs » pour nourrir le « sentiment d’appartenance » à la ville.

L’entrée en scène de Repensons Lévis aura-t-elle un impact notable ? Philippe Dubois est partagé. « Repensons Lévis a rétabli les conditions pour qu’on ait une compétition électorale », fait-il remarquer. « De là à savoir si ça peut permettre un renouvellement des élus, voire de la mairie, c’est un autre défi. »

Repensons Lévis ne préconise pas de grands changements. Le nouveau parti est favorable au troisième lien dans son ensemble, il met l’accent sur l’amélioration des services aux citoyens et ne remet pas en question le modèle d’urbanisme de la ville.

Son programme est beaucoup axé sur la participation citoyenne : comités consultatifs, aile jeunesse, rétablissement de la deuxième période de questions au conseil municipal.

Des mesures qui, aussi pertinentes soient-elles, risquent de rester abstraites pour les gens qui ne suivent pas la politique municipale de façon assidue.

Repensons Lévis a rétabli les conditions pour qu’on ait une compétition électorale. De là à savoir si ça peut permettre un renouvelle-ment des élus, voire de la mairie, c’est un autre défi.

Médias moins présents

Satisfaits, les gens de Lévis ou indifférents ? Difficile à dire. Selon M. Dubois, la présence de peu de médias d’information et la faible couverture médiatique qui en découle n’aident pas les électeurs à se positionner. « On voit dans les études que, quand les gens ont l’impression de ne pas avoir assez d’information sur l’élection, ils préfèrent s’abstenir. »

D’autant que les fractures politiques ont toujours été difficiles à cerner à Lévis, comme si les maires se passaient le relais afin de gérer toujours de la même façon. Depuis l’ère de Jean Garon, l’espace municipal a été dominé par Danielle Roy-Marinelli et Gilles Lehouillier. Les trois se sont d’ailleurs affrontés aux élections de 2005 quand Mme Roy-Marinelli et son parti Force 10 ont causé la surprise en battant M. Garon.

Quand Mme Roy-Marinelli a quitté la politique, huit ans plus tard, Gilles Lehouillier a pris la tête de Force 10 et été élu à son tour.

La vie politique à Lévis est axée sur de « grands cycles », selon Philippe Dubois. Le seul moment de rupture depuis la fusion est survenu avec la victoire surprise de Mme Roy-Marinelli contre Jean Garon en 2009.

L’ex-ministre péquiste qui avait été écarté au terme d’une mauvaise campagne où on lui avait reproché d’avoir décrit l’opposition à la Ville comme une « nuisance ». Comme quoi le goût de la population locale pour le consensus a ses limites.

Pour l’heure, aucun sondage n’a été réalisé, mais M. Lehouillier semble peu inquiet. Lors des débats cette semaine, il ne se donnait même pas la peine de critiquer ses adversaires la plupart du temps.

Paradoxalement, le moindre gain dans l’opposition (dans les districts, par exemple) va être une défaite pour lui, note M. Dubois. « À partir du moment où on contrôle l’entièreté de l’Hôtel de Ville, on ne peut qu’avoir une “défaite électorale”. »



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