Sous l’arc-en-ciel de la diversité

Les partisans de la diversité sexuelle portent le drapeau arc-en-ciel pour stimuler leur lutte et leur fierté. Ses opposants n’en veulent pas pour les raisons exactement inverses.
Photo: iStock Les partisans de la diversité sexuelle portent le drapeau arc-en-ciel pour stimuler leur lutte et leur fierté. Ses opposants n’en veulent pas pour les raisons exactement inverses.

Cette série examine l’origine et la signification de quelques couleurs politiques omniprésentes dans l’actualité ici comme ailleurs. Aujourd’hui, à l’occasion du Festival Fierté Montréal célébrant la diversité sexuelle et la pluralité des genres, qui se tient du 9 au 15 août à Montréal, l’attention se porte sur le drapeau multicolore de la communauté LGBTQ+.

Après la patate non genrée, 2021, année très LGBTQ, a vu apparaître les briquettes colorées. Lego, un des plus grands fabricants de jouets du monde, a lancé il y a quelques semaines un nouvel ensemble en plastique aux couleurs de l’arc-en-ciel.

L’idée est de « créer un modèle qui symbolise l’inclusion et célèbre tout le monde, peu importe l’identité ou la personne aimée », a expliqué son créateur, Matthew Ashton, vice-président du groupe danois. Lui-même est membre de la communauté.

Au même moment, en Ontario, des groupes de parents des conseils scolaires catholiques manifestaient au volant devant différentes commissions scolaires de plusieurs villes, de Toronto à Thunder Bay, pour dénoncer la décision de hisser le drapeau multicolore pendant le mois de juin, celui de la fierté. Les opposants ont eu gain de cause à au moins un endroit, à Peterborough. Des ambassades américaines et britanniques aux Émirats arabes unis ont aussi reçu récemment leurs lots de critiques en ligne de la part des habitants de ces petits royaumes ultraconservateurs pour avoir hissé le fanion arc-en-ciel devant leurs édifices.

Ainsi va la vie très active du symbole des bandes colorées créé en 1978 aux États-Unis, maintenant devenu universel. En français, on l’appelle encore souvent le drapeau arc-en-ciel. La désignation comme « drapeau queer » commence à s’étendre. En anglais, les appellations « diversity flag » ou « pride flag » sont maintenant bien installées avec la plus ancienne « rainbow flag ».

Les partisans de la diversité sexuelle le portent pour stimuler leur lutte et leur fierté. Ses opposants n’en veulent pas pour les raisons exactement inverses. Il en va d’ailleurs toujours ainsi avec les concentrés symboliques identitaires, sigles, logos ou drapeaux.

« Le drapeau n’est pas une image. Il signifie par convention, et non par analogie ou ressemblance. Le symbole est pour la chose elle-même. C’est un raccourci pratique et efficace, comme le sont les stéréotypes », expliquait récemment au Devoir la professeure Estelle Lebel, de l’Université Laval, spécialiste des représentations et des discours de l’image.

Feu les boules

 

L’arc-en-ciel est partout et il est encore présent dans le Village gai de Montréal, même si la célèbre canopée constituée de quelque 180 000 boules roses (2011) puis multicolores (2017) a été retirée de la rue Sainte-Catherine Est en 2019. On le retrouve par exemple en permanence dans les colonnes colorées de l’édicule du métro Beaudry.

« Quand je fais visiter le Village, je m’arrête toujours devant la station. C’est un des seuls édifices que je connais qui incorporent les couleurs de la diversité dans son architecture même », explique Bruno Laprade, militant LGBTQ, doctorant en sémiologie sur la diversité de genre dans les médias québécois, et expert du Village gai de Montréal, qu’il fait souvent découvrir comme guide professionnel.

Les premières visites du genre ont été organisées il y a une quinzaine d’années par Jeunesse Lambda, qui accompagne les jeunes se posant des questions identitaires dans la région métropolitaine. L’activité sert aussi à réfléchir à ce lieu emblématique et à discuter de son rôle actuel.

M. Laprade parle aux visiteurs de l’émeute de Stonewall, à New York, en 1969 ; des descentes de police au Truxx et au Mystique, rue Stanley à Montréal, en octobre 1977 ; du premier défilé de la Fierté à Montréal, en 1979. Comme l’utilisation du drapeau multicolore créé l’année précédente sur la côte ouest-américaine n’était pas encore répandue, l’organisateur de La Brigade rose, John Banks, avait marché en tête du petit cortège rassemblant 52 personnes en agitant deux draps teints en rose, cousus ensemble et découpés en triangle.

En août 2019, dernière année pré-COVID, le festival Fierté Montréal proposait plus de 250 activités qui ont attiré près de 3,5 millions de personnes pendant 10 jours. Cette année, la pandémie va encore imposer ses règles, et la Marche de la fierté du 15 août se déroulera sans chars allégoriques.

Le « pride flag » est maintenant omniprésent dans la Fierté gaie. Ce symbole l’a donc emporté comme fanion de ralliement. Bruno Laprade y voit — sans rancune — un autre signe de la puissance culturelle américaine.

Le spécialiste des médias fait aussi remarquer qu’avant cette année, on ne parlait pas tant du mois de la Fierté au Québec ou de la commémoration de Stonewall qui s’est étendue aux États-Unis depuis le début du siècle et maintenant beaucoup plus ici. Le militant souhaite que, de même, la Journée internationale contre l’homophobie et la transphobie (17 mai), créée au Québec en 2003 et bien implantée en France, essaime à son tour dans le monde.

Cette journée-là, en 1990, l’homosexualité a été retirée de la liste des maladies mentales de l’Organisation mondiale de la santé. On répète : en 1990…

Tous pour un·e

La répression demeure dans beaucoup de pays alors que la reconnaissance des droits s’étend dans plusieurs autres, comme en fait preuve l’usage positif généralisé des symboles pour désigner des espaces ouverts. Les couples non hétéronormés, et les membres de la grande famille LGBTQ+ se retrouvent dans les publicités, à l’écran, parmi les superhéros. L’arc-en-ciel est utilisé à des fins de marketing. Le terme « pinkwashing » désigne les procédés publicitaires concoctés pour se donner une bonne image progressiste.

« Le drapeau est d’abord un symbole de reconnaissance pour les communautés, mais évidemment, le symbole peut être récupéré ailleurs, par des politiciens ou des commerces », dit Martin Blais, professeur au département de sexologie de l’UQAM, spécialiste des problèmes d’inclusion et d’exclusion de personnes LGBT. « Les couleurs sont affichées un mois par année et après, on passe à autre chose. Est-ce que certaines entreprises impriment en juin un arc-en-ciel sur un t-shirtblanc et ne font rien d’autre ? Comment traitent-elles leurs employés LGBT ? »

Le professeur distingue l’égalité juridique et l’égalité sociale. Les progrès sur le premier plan restent indéniables, avec la reconnaissance du droit au mariage ou à l’adoption pour les couples de même sexe. « Mais les personnes trans continuent de souffrir d’un traitement inégal pour l’accès aux soins de santé ou sur le plan juridique par exemple, souligne Martin Blais. En fait, il y a un groupe privilégié dans la communauté, celui des hommes gais blancs cisgenres, dont les droits sont propulsés, tandis que les autres, les personnes trans ou racisées, progressent beaucoup moins rapidement. »

L’égalité sociale avance aussi à vitesse variable et là encore, il faut considérer l’intersection des réalités. Le professeur fait remarquer que même les luttes perçues comme très minoritaires, celles des personnes trans qui ne représentent qu’une toute petite fraction de la société, profitent finalement à tous et à chacune, peu importe qui joue (ou pas) avec la patate non genrée et les briquettes colorées.

« L’assouplissement des codes de genre, les personnes cisgenres et hétérosexuelles en bénéficient aussi. Lutter contre l’homophobie et le harcèlement à l’école entraîne que certains jeunes hétérosexuels ne se font pas insulter comme “fifs” ou “tapettes”. Le fait de relaxer les normes, de casser les hiérarchies dans les formes d’expression de la masculinité ou de la féminité sert tout le monde. »

Gilbert Baker, le « Betsy Ross » gai

Dans les années 1980, l’infâme triangle rose (« rosa winkel ») utilisé pour marquer les détenus homosexuels masculins dans l’archipel concentrationnaire nazi était parfois porté par les militants des droits des gais, par devoir de mémoire et comme symbole détourné de leur identité. On voyait aussi des « biangles », un triangle bleu étant joint à un rose pour désigner la bisexualité, ou le féminin et le masculin. Un cercle vert entourait parfois les symboles triangulaires sur des affiches désignant des espaces sécuritaires pour les membres de la communauté LGBT+. Ce symbole n’est pas disparu pour autant. Le Comité national du triangle rose défend et fait connaître les droits des membres de cette communauté au sein du Syndicat canadien de la fonction publique.

 

Le drapeau multicolore, maintenant universellement reconnu, a été conçu par le graphiste militant Gilbert Baker pour la Gay & Lesbian Freedom Day Parade de San Francisco du 25 juin 1978.

 

M. Baker se présentait lui-même parfois comme un « Betsy Ross » gai, en référence à l’Américaine qui aurait cousu à la main la première bannière étoilée des États-Unis à la demande de George Washington. Lui-même ancien militaire reconverti dans la couture, le design et les performances, Gilbert Baker a imaginé le drapeau arc-en-ciel à la demande du leader de la communauté Harvey Milk, assassiné à San Francisco quelques mois après. Le premier « diversity flag » comptait huit bandes colorées, chacune ayant une signification particulière : rouge (la vie), orange (la guérison), jaune (la lumière), vert (la nature), turquoise (l’art), bleu (l’harmonie), pourpre (l’esprit) et rose (le sexe).

 

Le rose, encore parfois associé à l’homosexualité et à la féminité, a aussi longtemps été un signe de virilité. Paradoxalement, cette couleur a vite été abandonnée, les bandes roses étant plus chères à teindre. Le turquoise et le bleu ont été fusionnés pour donner une bande bleu royal.

 

La configuration arc-en-ciel demeure modulable. Une des plus récentes versions, baptisée « progress flag », est apparue en 2018. Elle ajoute cinq bandes aux six habituelles : le noir et le brun, Black Lives Matter oblige, mais aussi le bleu pâle, le rose et le blanc, symboles transgenres.



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